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j’enfonçais dans la vase, quand une dernière chance se présenta. La balle, cette fois, pénétra exactement entre l’œil et l’oreille et tua la bête sur le coup.

Le jour allait finir ; les Cafres attirèrent l’hippopotame vers la rive, on en fit griller un morceau, et chacun soupa ; mais c’était un vieux mâle horriblement coriace.

La nuit fut humide, la rosée abondante : je me levai le lendemain matin avec des symptômes de fièvre ; il me fallut néanmoins faire vingt-cinq milles à pied, et en plein soleil. Très-impatient d’atteindre de nouveau le Pongola, où j’espérais trouver de la quinine et du café, je partis aussitôt que j’en eus la force. Le 24, j’arrivai au kraal de Moputa, où je reçus une hospitalité généreuse. Une marche forcée me fit gagner la rivière ; je n’y trouvai ni médicaments ni chariot. Mais Tom arriva le jour suivant ; il apportait des provisions, me rendit courage, et les forces commencèrent à revenir. À la faveur d’un temps frais et couvert, je franchis avec un succès inespéré vingt milles d’un terrain sablonneux, entièrement dépouillé d’arbres, n’offrant pas une goutte d’eau, et fis encore six milles à travers bois.

Baldwin chassant à l’hippopotame. (voy. p. 378). — Dessin de Janet-Lange d’après Baldwin.

Le 2 août, je me sentis assez bien pour prendre mon fusil ; j’avais promis quelques rangs de perles à mon chasseur s’il me faisait voir un inyala. Il m’emmena dans la forêt, ou nous marchâmes longtemps au milieu des broussailles. Tout à coup, les yeux de mon Cafre étincelèrent, il débucha et courut vers un étang. Aux gestes qu’il m’adressait, je compris qu’il fallait le rejoindre, mais suivre la route opposée à celle qu’il avait prise. Je fis donc le tour en avançant avec précaution, ne me doutant pas de ce que j’allais voir, et je découvris à soixante ou quatre-vingts pas un superbe inyala qui s’éloignait tranquillement, après s’être désaltéré. Il se détourna, reçut une balle dans l’épaule, fit en l’air un bond prodigieux et disparut sous bois. Légers et rapides, les Amatongas, le suivant à travers les buissons avec une sagacité merveilleuse, finirent par le rejoindre et par l’acculer dans un endroit ou mon Cafre, à qui j’avais donné un fusil, ne tarda pas à l’achever[1].

Le surlendemain, j’étais en route ; le 8, je traversais la Sainte-Lucie ; le 15, j’apprenais la mort d’Harris, avec qui, l’automne suivant, je devais aller chez les Matébélés.

Toujours malade, épuisé par la marche, que de fois, pendant cette route accablante, j’ai fait le vœu de ne plus revenir dans le pays ; et cependant, arrivé à Port-Natal, le 9 septembre, je m’arrangeais de façon à repartir le 31 mars pour cette contrée maudite.


Troisième excursion chez les Zoulous. — Crocodile tué sur la rive. — Rencontre de plusieurs rhinocéros. — Hyènes. — Un lion et deux lionnes.

Un conducteur de chariot et un oreloper[2], auquel je donnais une génisse pour venir seulement jusqu’au Touguéla, composaient toute ma suite. Notre première action d’éclat fut de chavirer le wagon et d’en éparpiller le contenu ; il en résulta un délai de plusieurs jours, pendant lesquels je parvins à engager trois Cafres. Nous arrivâmes sans encombre à Grey-Town ; la pluie nous y arrêta pendant trois autres jours.

Je quittai Grey-Town le 7 avril, et après nous être

  1. L’inyala est une antilope d’un gris brun à reflets argentés, parente du bushbuck (tragelaphus sylvaticus), mais beaucoup plus grande que celui-ci, et paraissant n’habiter que les forêts de la côte occidentale. De même que le bushbuck, le mâle est armé de cornes en spirale, et revêtu de longs poils sur la poitrine et la partie inférieure du corps ; il pèse de deux cent cinquante à trois cents livres, et, selon toute apparence, vivrait solitaire au moins une partie de l’année. Les femelles, de moitié plus petites, et d’un poil brun marqué de raies et de taches blanches, ressemblent au daim ; elles n’ont pas de cornes on les voit souvent réunies en troupeau.
  2. Homme qui ouvre la marche.