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qui expirait ; les lions avaient tellement effrayé celui-ci qu’il en était devenu fou ; il avait fallu l’abattre.

6 octobre. — Nous traversons l’Omvelouse, mais non sans peine, le gué n’ayant pas moins de quatre pieds d’eau sur une couche de sable mouvant. Perdu l’un de nos bœufs. Mon pauvre Hopeful manque aussi à l’appel ; un chien parfait ! Nous avons battu les environs sans découvrir sa trace ; les léopards l’auront emporté. Craft n’a pas cessé d’aboyer toute la nuit, mais comme j’entendais en même temps la voix des hyènes, je ne m’en suis pas préoccupé. Les chevaux avaient pris la fuite ; dès le matin, nos Cafres sont partis à leur recherche et n’ont pas tardé à les réunir.

La chasse se continua jusqu’à la fin d’octobre ; nous tuâmes des buffles, des élans ; un de ces derniers, entre autres, fournit à Billy, mon poney, l’occasion de faire des merveilles ; une bête superbe, dont la dépouille mesurait dix pieds, non compris la tête, et qui sous le rapport de la chair se trouvait du premier ordre. Le 23, White et le reste de la bande reprirent le chemin du Natal, les munitions leur manquaient. Le 27, nous rencontrâmes Shadwell et ses compagnons ; ils revenaient également et n’avaient pas tué moins de cent cinquante hippopotames et de quatre-vingt-onze éléphants ; une chasse magnifique ; mais ils formaient deux partis nombreux et avaient une masse de fusils.

Quelque temps après, Clifton et moi nous avions rejoint nos camarades, et nous nous séparions à Durban, la plupart d’entre nous pour ne jamais nous revoir.

Cette esquisse pourra donner au lecteur un aperçu de l’existence qu’on mène dans ces expéditions. Parfois on y est assez misérable ; mais cette vie errante, pleine d’aventures et d’insouciance, a de grands charmes pour moi. On ne fait que sa volonté, on s’habille comme on veut ; quand je suis à pied, une chemise à raies bleues et blanches, de grandes guêtres, une paire de souliers et un chapeau forment tout mon costume.


Départ pour le pays des Amatongas (1854). — Inyalas. — Hippopotames. — Chasse avec les indigènes.

Parti de nouveau le 10 avril 1854, je repris encore le chemin qui conduit chez les Zoulous ; mais avec l’intention de dépasser leurs frontières. Le 18 juin, après d’assez nombreuses vicissitudes (nous avions manqué de mourir de faim sur les rives du Touguéla, et failli moisir sous des pluies diluviennes), j’arrivais au bord de l’Inyelas. Cinq jours après, ne voyant pas venir la bande à laquelle je devais me joindre, et apprenant que son départ était encore différé, je me mis en marche avec Fly, l’un de mes chiens, et deux serviteurs cafres. Nous traversâmes d’abord une contrée plate, sur un bon sentier sablonneux, où la moitié du temps je marchai pieds nus. On voyait des gnous, des couaggas, des coudous et des waterbucks (antilopes qui se tiennent au bord de l’eau). Le soir, je donnai à mes Cafres la moitié de ma couverture, qui heureusement était double ; ils se pelotonnèrent à mes pieds comme une balle de laine, et la nuit se passa bien, malgré un vent très-fort et un froid assez rude. Les lions et les hyènes s’entendirent jusqu’au jour, mais ne vinrent pas nous inquiéter.

On m’avait dit que je me perdrais ; il n’en fut rien. Levés avec le soleil, nous marchâmes pendant sept heures au milieu d’un fourré très-épais, composé d’arbres et de buissons rabougris, et nous arrivâmes à un défrichement où s’apercevaient des terrains cultivés ; nous étions chez les Amatongas. Le capitaine me fit très-bon accueil et mit une cabane à ma disposition. Je passai les jours suivants à chercher des inyalas, espèce d’antilope que je n’avais pas encore vue, et dont je finis par tuer un beau mâle que je ne me lassai pas d’admirer.

Reparti le lendemain matin, et m’arrêtant de kraal en kraal, je me dirigeai vers le Pongola, que je traversai le 2 juillet. Peu de temps après l’avoir franchi, nous trouvâmes de grands étangs couverts d’oiseaux d’eau, et servant d’asile à quelques hippopotames qu’il me fallut tirer de très-loin. J’en tuai deux qui étaient dans des conditions de graisse et de délicatesse peu communes. Un chasseur qui viendrait là avec une habile ménagère serait sûr de ne pas mourir de faim. Je venais de me procurer environ cinq tonnes de viande parfaite, et une quantité incalculable d’une graisse délicieuse.

Ne me décidant pas à quitter une aussi bonne station, j’y passai quelques jours ; puis je me remis en route, et le 12, je traversais l’Omsoutie, jolie rivière qui se jette dans la baie Delagoa : ses eaux profondes renferment de nombreux hippopotames, et les crocodiles y pullulent ; j’en ai compté vingt-deux sur un petit banc de sable situé au milieu du courant. J’avais atteint le but que je m’étais proposé, et n’avais plus qu’à revenir sur mes pas ; je regagnai le dernier kraal, et m’y établis pour quelques jours.

Le 17 juillet, un parti de quinze hommes, y compris le chef du village, plus trois cantiniers chargés d’abouti inyouti [1], se mirent en chasse avec moi ; les couvertures avaient été prises pour la nuit. On marcha longtemps sans rien voir ; à la fin, un vieux buffle mâle bondit à mes côtés ; ma balle l’atteignit derrière l’épaule et le fit tomber sur les genoux ; il se releva bientôt et prit la fuite ; je le tirai une seconde fois, mais sans aucun résultat.

Un peu plus loin, je vis un gros hippopotame endormi près de la rive, derrière un bouquet de roseaux. Je me dirigeai vers lui en rampant. Juste au moment où je me découvris (j’avais de l’eau jusqu’à la ceinture) la bête, au lieu de s’enfuir, comme je l’avais pensé, se précipita vers moi ; quand l’hippopotame ne fut plus qu’à une vingtaine de mètres, il s’arrêta une seconde pendant laquelle je tirai ; le coup l’atteignit sous l’oreille et le fit pirouetter sur lui-même comme une toupie. Deux balles lui entrèrent dans le corps sans produire aucun effet. Une troisième, destinée à la tête, le manqua ; il parut se remettre, s’éloigna peu à peu du bord, gagna l’eau profonde, et je craignis de le voir m’échapper.

Le soleil frappait directement sur lui, au point de m’éblouir ; le fond de l’eau était bourbeux, glissant ;

  1. Bière amatonga, faite avec du sorgho, estimée des Européens quand on n’y a pas mêlé une racine amère, dont les indigènes recherchent les propriétés enivrantes.
    H. L.