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Dans la nuit du 29, les mugissements des bœufs, les aboiements des chiens nous réveillèrent. Il ne faisait pas très-noir ; je saisis le fusil rayé de Clifton et m’élançai au dehors. Je courais l’aventure, lorsque j’aperçus notre conducteur de chariot. Il était au sommet d’une case de six pieds d’élévation, et demandait une capsule à grands cris. Au moment où j’arrivais près de lui, expirait la voix de l’un de nos bœufs, couverte par le grondement de lions qui étaient à peine à quinze pas de nous, mais que l’obscurité empêchait de voir. Je tirai dans la direction des rugissements, juste au-dessus de la masse du bœuf qui s’entrevoyait dans l’ombre ; Diza, le conducteur, suivit mon exemple, et comme les lions ne semblaient pas s’en être aperçus, je leur envoyai mon second coup.

J’étais en train de recharger, quand je sentis que la bête arrivait ; ce fut un éclair. Au même instant, j’étais lancé en bas de la cabane par la tête du lion, qui me frappait en pleine poitrine, et me faisait faire une demi douzaine de culbutes.

Je fus debout immédiatement, et franchis une palissade qui se trouvait derrière moi ; j’avais bien mon fusil, mais le canon était bouché avec de la terre. Je courus alors au chariot et sautai sur le siége ; j’y trouvai tous mes hommes suspendus comme des singes, et Diza perché au-dessus d’eux tous. Par quel miracle celui-ci, qui était tombé avec moi, était-il arrivé là ? Je me le demande encore.

Deux minutes après, un lion emportait l’une des cinq chèvres qui étaient entravées au pied de la cabane dont nous avions été si rapidement éconduits. Croyant être plus heureux cette fois, Diza tira de son poste élevé, et le recul l’ayant rejeté en arrière, il tomba sur la tente, qu’il écrasa dans sa chute, nous donnant le plus singulier des spectacles. Ce dernier épisode ayant mis le comble à notre défaite, nous laissâmes les lions achever tranquillement leur repas, qui nous sembla d’une assez longue durée, et pendant lequel ils ne cessèrent de rugir. Nous restâmes sur notre perchoir, grelottant de froid, car nous étions nus, jusqu’au moment où l’approche du jour fit battre l’ennemi en retraite.

Retour forcé au kraal de Panda.

J’avais regagné mes couvertures avec bonheur, et je commençais à me réchauffer, quand un coup double m’ayant arraché à cette béatitude, j’appris que notre conducteur et l’un de ses camarades pensaient avoir tué le lion. Rendus sur les lieux, nous trouvâmes en effet une lionne superbe ; les côtes étaient traversées par la balle du compagnon de Diza ; coup d’adresse, car la distance était au moins de cent cinquante yards[1]. Une autre balle avait pénétré derrière la nuque et, longeant l’épine dorsale, ne s’était arrêtée que près de la naissance de la queue. C’était l’une de celles que j’avais tirées avec le fusil rayé de Clifton ; j’avais par conséquent droit à la bête, qui appartient toujours à celui qui l’a touchée le premier.

Diza, qui se trouvait avec moi sur la hutte, avait reçu un coup de griffe dans la cuisse au moment où nous avions été renversés, et la crosse de son fusil était labourée d’une manière effrayante : l’ennemi était dangereux. Une vieille Zouloue n’en resta pas moins dans la cabane, sans même avoir une porte qui la séparât des lions, et ne bougea pas plus qu’une souris jusqu’à la fin de la crise.

Tandis que je dépouillais ma bête, trois coups doubles retentirent successivement ; je courus, mon fusil à la main, et j’aperçus Clifton près de l’un de nos bœufs

  1. Le yard est de trois pieds anglais équivalant à quatre-vingt-onze centimètres.