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je me précipitai vers le bord, ou j’arrivai suffoquant et sans arme. Le lendemain matin, mes compagnons et moi nous revînmes pour chercher mon fusil qui était parfait ; mais nous plongeâmes inutilement tour à tour ; en vain la rivière fut draguée au moyen de branches épineuses ; il fallut me résigner à cette perte.

Les crocodiles sont l’un des graves inconvénients de cette région ; ils n’empêchent pas le bain d’être salutaire ; mais leur présence cause un certain malaise qui en diminue le charme. Ce n’est pas la seule aventure désagréable que j’aie eue avec eux.

Le 18 janvier, les chariots se séparèrent ; il y en eut deux qui allèrent au marché du roi, tandis que l’autre accompagnait les chasseurs à la baie de Sainte-Lucie.

On détela au bord de l’Inseline, petite rivière où nous fûmes à demi dévorés par les moustiques.

C’est là que pour la première fois je trafiquai avec les naturels ; j’y achetai un bœuf au prix de quatre houes, dont se servent les indigènes pour ouvrir la terre à l’époque des semailles, et qui, dans le Natal, se vendent un shilling six pence (un franc quatre-vingt-cinq centimes).

Arrivés à l’Omvelouse-Noir[1], le chariot fut confié au chef de l’endroit, et les bœufs furent renvoyés sur leurs pas à une distance de vingt milles, le pays où nous entrions étant fort malsain pour le bétail. Il l’est également pour les hommes ; mais nous ne le savions pas alors.

On délogea le bateau, cause innocente des trempées nocturnes que nous avions subies, et nous prîmes sa place dans le wagon. Il y avait tant de moustiques au bord de la rivière que nous faisions brûler des bouses sèches dans des pots, et que nous emportions ceux-ci au fond de notre asile. Pas moyen d’échapper à cette alternative : dévoré ou suffoqué. Ce dernier supplice avait la préférence, et comme on ne pensait pas même à dormir, chacun appelait de ses vœux la venue du jour qui faisait disparaître les moustiques.

Je donnai au bateau une couche de blanc de céruse et de vernis, je fabriquai une voile, j’essayai des balles de fer que j’avais apportées ; elles ne répondirent pas à mon attente ; beaucoup trop légères, elles décrivaient une courbe très-forte, et je finis par m’en débarrasser ; néanmoins elles pénétraient à une grande profondeur.

24 janvier. — Nous lançons le premier bateau qu’ait jamais porté l’Omvelouse-Noir, et nous essayons de dormir dans une butte indigène ; c’est tomber de Charybde en Scylla. Une chaleur intolérable, des nuées de moustiques ; de la bière cafre, du lait aigre, pas une bouchée de viande : tel est notre menu.

25 janvier. — Nous cherchons à nous rafraîchir en prenant un bain. Deux d’entre nous restent sur la rive, poussent des cris, jettent de grosses pierres dans l’eau, tirent deux ou trois coups de fusil pour effrayer les crocodiles. Bien que fort nombreux ces derniers sont très-timides, et je ne crois pas qu’avec les précautions dont je viens de parler nous ayons à les craindre ; mais ils diminuent le plaisir du bain.

26 janvier. — Nous tirons au sort pour savoir qui accompagnera Monies dans le bateau ; c’est Gibson qui est désigné ; on nous dépose sur l’autre rive, car l’eau est haute, et Price, Arbuthnot et moi nous allons battre le pays avec nos guides.

Après avoir fait quelque vingt-cinq milles, nous nous arrêtons pour passer la nuit. Comme nous avons oublié de prendre des grains de verre ou du fil de cuivre, je déchire mon foulard, j’en fais des lanières qui peuvent avoir deux pouces de large, c’est un ornement de tête, en manière de bandelette ; les indigènes nous donnent en échange du lait caillé, de la bière et de la farine d’amobella, dont nous faisons de la soupe.

Le lendemain nous étions de retour à deux heures de l’après-midi ; Monies et Gibson n’arrivèrent que sur les huit heures. Ils revenaient sans le bateau, les crocodiles leur avaient brisé leurs pagaies et leurs rames.

Comme ils descendaient la rivière, Monies avait aperçu un éléphant dans les roseaux, il avait ramé du côté de la bête, et à quinze pas l’avait tuée d’une balle entre l’œil et l’oreille. Nos deux amis enlevèrent les défenses et l’oreille à coups de hache, mirent le tout dans le bateau et continuèrent leur promenade. L’odeur du sang exaspéra sans doute les crocodiles, et bien que Monies en eût tué cinq, et trois hippopotames, la victoire finit par leur rester. N’ayant plus que le manche d’une rame pour godiller la barque, Monies et Gibson déposèrent leur cargaison sur un banc de sable, la couvrirent du bateau, et reprirent le chemin du camp.

Nous allâmes dans le fourré ; Price, Arbuthnot et Monies, qui étaient fort adroits, fabriquèrent des rames, des godilles, et, accompagnés de huit indigènes, s’en furent chercher la barque ; ils la trouvèrent telle qu’ils l’avaient laissée, et partirent le 30 pour la baie de Sainte-Lucie.

Les chasseurs firent plus de vingt milles à travers une belle région ; ils rencontrèrent des oiseaux d’eau en masse et une foule d’hippopotames. Vers le milieu du jour ils furent obligés de prendre terre, ayant contre eux vents et marée ; non-seulement ils n’avançaient plus, mais les vagues emplissaient la barque. La partie n’en était pas moins bonne ; courir vent debout, manger de l’oie sauvage et des melons d’eau ; excellentes choses par la chaleur. Il passèrent la nuit confortablement, près de leurs feux, sans couverture aucune, et arrivèrent le lendemain à midi à leur destination, après avoir tué deux hippopotames.

  1. L’auteur écrit Umveloose ; nous avons préféré l’initiale Om, l’u français n’existant pas en anglais, il est probable que, dans cette circonstance, on doit prononcer Eum. Cette rivière est d’ailleurs l’Om-Philos-Mouniama de Delegorgue ; elle rejoint, à dix-huit lieues de la mer, l’Om-Philos-om-Schlopu (Om-Philos-Blanc), et forme, avec ce dernier, l’Omphilozie des indigènes, la Sainte-Lucie de nos cartes, qui va se jeter dans la baie de Sainte-Lucie. Elle doit son nom de rivière Noire aux galets noirâtres dont son lit est jonché au point d’influer sur la couleur apparente de ses eaux. L’autre Om-Philos roule au contraire sur du sable qui l’a fait nommer rivière Blanche. Toutes les deux prennent leur source dans les monts Quathlambènes, parcourent d’abord une contrée nue, puis, à moitié de leur cours, entrent dans une forêt épaisse et giboyeuse dont l’éléphant occupe le centre. (Note du traducteur.)