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de produire ensuite quelque chose qui soit plus digne de lui.

Je crois devoir expliquer à mes amis d’Afrique par quelle raison je suis allé au Natal. Il faut pour cela que je parle de mon enfance ; je le ferai en quelques lignes, que le lecteur indifférent pourra passer.

L’amour du sport, des chevaux, des chiens était inné chez moi. Dès l’âge de six ans, je suivais sur mon poney les lévriers du voisin, et cela deux fois par semaine. Il en fut ainsi jusqu’au jour néfaste où l’une de mes prouesses valut à mon père un avertissement du digne squire, avertissement qui me fit mettre en pension. J’y restai comme tant d’autres. Lorsque j’en sortis, ayant l’humeur vagabonde, je fus placé dans la maison de commerce d’un ex-membre du Parlement, afin, plus tard, d’être envoyé aux colonies. Je travaillai ; mais les bassets, les bigles, le canotage, les meetings étaient contraires à la discipline du bureau. Le plus jeune des associés et moi, nous en tirâmes cette conclusion que je n’étais pas né pour le métier de scribe, et il fut résolu que j’irais dans le Forfarshire apprendre l’agriculture. J’en partis bientôt pour une ferme du West-Highland, où sur treize milles carrés de montagnes, de ruisseaux, d’étangs, de rivières et quelque deux acres de terre labourable, auxquels s’ajoutaient deux distilleries de whiskey, mon excellent père ne doutait pas que son fils, accablé de travail, ne fût initié à tous les mystères de la culture écossaise. Toujours est-il qu’avec la chasse, la pêche, les gens de la ferme, les chiens, les flâneries, les promenades, j’étais dans une position magnifique ; mais n’ayant dans ma patrie ni bruyères, ni lacs, ni chevaux de race en perspective, je cherchai quelque pays lointain où l’on eût la liberté de se mouvoir.

Tandis que je balançais entre le Haut-Canada et les prairies du Far-Ouest, deux de mes amis intimes, qui partaient pour le Natal, me conseillèrent de choisir cette colonie ; et l’ouvrage de Gordon Cumming, venant à paraître, me décida immédiatement. J’eus bientôt pris mes dispositions, le peu que j’emportais se composant de fusils, de rifles, de selles, et id genus omne. La seule partie dispendieuse de ma cargaison était formée de sept chiens courants ; une dépense inutile : car deux des meilleurs ne tardèrent pas à mourir, et les autres succombèrent peu de temps après.

Arrivé à Port-Natal en décembre 1851, mon premier embarras fut de me faire présenter à M. White, qui préparait une expédition chez les Zoulous. Heureusement qu’alors cette formalité n’était pas nécessaire dans la colonie ; j’avais, du reste, dans mes chiens une recommandation plus que suffisante auprès d’un vieux chasseur. Je fis des offres ridicules pour être admis dans la bande, on les accepta d’emblée. Il y avait deux chariots, bourrés jusqu’à la toile. Au sommet de l’un d’eux était placé le bateau, la quille en l’air. Je sautai de joie lorsqu’on me proposa de coucher sous l’une des machines roulantes qui portaient les bagages ; j’aurais passé les nuits dans la rivière plutôt que de manquer la partie. Le but de l’expédition était de chasser l’hippopotame, qui abonde dans la baie de Sainte-Lucie, précisément à l’époque la plus malsaine de l’année. Nous voilà donc en route : neuf chasseurs, une compagnie d’indigènes et trois chariots. On se trouvait en été, la saison des grandes pluies, les routes étaient mauvaises, les rivières débordées ; nous marchions avec lenteur. On tuait des antilopes, des canards, des outardes ; je travaillais comme un cheval pour gagner l’estime de White ; les autres me laissaient volontiers le soin d’approvisionner la broche. Le premier hippopotame fut tué le 7 janvier ; c’était un jeune ; une viande excellente, ayant à près le goût du veau.

Je me précipitai vers le bord.

Le 14, nous étions à l’embouchure de l’Omlilas. Arrivés à la marée montante, il nous fallut rester sur le bord en attendant le reflux. Ce fut l’occasion d’un grand plaisir : des oiseaux d’eau en masse, et pas du tout farouches ; j’en ramassai autant que j’en pus mettre à ma ceinture.

Comme le soleil baissait, je vis les chariots sur les collines de l’autre rive ; le gué était loin, j’entrai dans la rivière à l’endroit où je me trouvais, bien que j’y eusse aperçu des crocodiles nombreux. Je gagnai une espèce d’îlot ; à peine si mes genoux étaient mouillés ; mais en face de moi courait une eau profonde ayant une largeur de trente yards. J’avais de grosses bottes, mon fusil, mes munitions, tous les oiseaux que je venais de tuer ; mon costume, il est vrai, n’était pas lourd : une chemise et une paire de guêtres ; bref, je risquai l’aventure. Je nageais avec une sage lenteur, craignant de perdre mon fusil, qui était sous mon menton, et j’allais réussir, quand je vis la tête d’un énorme crocodile qui se dirigeait vers moi. Je n’ai pas besoin de dire avec quel élan