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véhicules où ils étaient empilés ; l’épaisse couche de poussière qui blanchissait leurs vêtements nous faisait supposer que le voyage avait été long. En effet, il y en avait parmi eux qui portaient le costume des paysans de la huerta d’Alicante, et nous reconnûmes même des Murciens à la peau bronzée, coiffés de la montera de velours noir, et portant, comme les Valenciens, de larges caleçons flottants de toile blanche.

Tout cela donnait à la ville d’Alcoy un air d’entrain et de gaieté dont nous ignorions la cause : curieux de savoir le mot de l’énigme, nous nous approchâmes d’un groupe et nous demandâmes d’où venait tout ce mouvement. « Comment, nous répondit un des habitants, vous ignorez donc que c’est la fête de Saint Georges, et que c’est demain que commence la foire d’Alcoy ? Levez les yeux et lisez ce cartel, et vous verrez, par le détail des divertissements qui doivent avoir lieu, qu’il y a peu de villes qui puissent se vanter d’en offrir de pareils aux étrangers. »

Nous commençâmes alors la lecture d’une immense affiche imprimée sur papier bleu tendre, qui pouvait bien avoir près de deux mètres de hauteur ; en tête se lisaient ces mots en capitales énormes : Feria de Alcoy, puis venait le détail des funciones ou cérémonies.

En Espagne le mot funcion est d’une élasticité extraordinaire, et s’applique aux cérémonies du genre le plus différent : une course de taureaux, une exécution capitale, un enterrement somptueux, funcion ; s’il y a dans une église quelque grande fête en honneur d’un saint, si un théâtre donne une représentation extraordinaire, c’est encore une funcion.

Préparation de l’aloès (voy. p. 364).

La première funcion annoncée sur l’affiche était une corrida de novillos : une fête espagnole ne serait pas complète sans une course de taureaux. Bien que cette corrida ne fût pour nous que d’un intérêt médiocre après les deux beaux combats que nous venions de voir à Valence, nous nous proposâmes cependant d’y assister ; car après avoir vu l’élite des toreros se mesurer avec les plus terribles bichos des pâturages de l’Andalousie, nous n’étions pas fâchés de voir aussi des comparses de la tauromachie combattre de jeunes taureaux à peine formés.

Le programme de la fête comprenait encore un feu d’artifice, castillo de fuego ; mais ce qui nous parut le plus intéressant était l’annonce d’un simulacre de combat entre les Mores et les chrétiens, combat qui devait durer plusieurs jours. Nous prîmes donc sans tarder nos dispositions pour ne rien perdre de cette cérémonie, qu’on nous avait recommandée comme une des plus curieuses et des plus attrayantes parmi les réjouissances populaires de l’Espagne.

Ch. Davillier.

(La suite à une autre livraison[1].)



  1. Des travaux considérables commencés, entre autres l’illustration du Don Quichotte (2 vol. in-fol., librairie Hachette), n’ont permis à M. Gustave Doré d’avancer beaucoup, en 1863, sa part de collaboration du Voyage en Espagne ; mais il promet aux lecteurs du Tour du monde plusieurs livraisons pour 1864.