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Le 15 octobre, départ pour revenir à Luang-Prabang.

Le 18, halte à H…

Le 19, je suis atteint de la fièvre.

Le 29 : « Ayez pitié de moi, ô mon Dieu !… »


Cette exclamation suprême, tracée d’une main tremblante, est la dernière que le voyageur ait confiée au papier. De violentes douleurs céphalalgiques et une prostration toujours croissante semblent lui avoir fait tomber la plume des mains. Cependant l’intrépide naturaliste avait une telle confiance en ses forces, qu’il ne paraît pas avoir eu conscience de sa fin prochaine, à en juger du moins par la réponse invariable qu’il faisait à son fidèle Phraï, chaque fois que celui-ci lui demandait s’il n’avait rien à écrire à sa famille : « Stop ! stop ! Attends ! attends ! As-tu peur ? » Le 7 novembre, le malade tomba dans un coma entrecoupé de délire. Le 10, à sept heures du soir, il n’était plus ! Vingt-quatre heures plus tard, et contrairement à l’usage du Laos, qui est de suspendre les cadavres au sommet des arbres et de les y abandonner, la dépouille mortelle de notre compatriote fut inhumée, selon le rite européen, par les soins de Phraï et de Dong, son compagnon, qui tous deux, trois mois plus tard, rapportaient à Bangkok, avec les détails qui précèdent, les collections, les effets et les papiers de leur maître.

Qu’ils soient bénis pour leur fidélité ! C’est le vœu de la veuve, du frère, de la famille entière d’Henri Mouhot. Puisse-t-il être aussi celui des lecteurs de ce récit !

Cimetière protestant, à Bangkok. — Dessin de Catenacci d’après une photographie.

En terminant, il nous en reste un encore à formuler. Henri Mouhot repose à cinq mille lieues de sa terre natale, à trois cents lieues au moins du point le plus rapproché qu’habite un Européen. N’y aurait-il pas justice à ce que l’Angleterre, dont les musées ont reçu les collections qui lui ont coûté la vie, — à ce que la France, à laquelle il a montré et ouvert le chemin du Cambodge, — lui élevassent à frais communs un modeste mais durable monument dans le cimetière chrétien de Bangkok, où sans doute il est allé rêver plus d’une fois, et dont la brillante végétation réunit sous une ombre propice la plupart des objets spéciaux de ses études : les fleurs, les insectes et les oiseaux des tropiques ?

F. de L.