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Siamois, et surtout des montagnes couvertes de jungles où réside la mort, cette principauté tomberait vite entre les mains des Annamites, qui n’osent s’avancer qu’à sept journées de marche à l’est.

Une charmante rivière de cent mètres de largeur opère sa jonction avec le fleuve à l’extrémité nord-est de la ville, et conduit à quelques villages de Laotiens sauvages qui portent ici le nom de Tiê. Ces derniers ne sont autres que ces tribus appelées « Penoms » par les Cambodgiens, Khâs par les Siamois, Moïs par les Annamites ; mots qui n’ont d’autre signification que celle de sauvages.

Toute la chaîne de montagnes qui s’étend du nord du Tonkin au sud de la Cochinchine, à une centaine de milles au nord de Saïgon, est habitée par ce peuple tout à fait primitif, divisé en tribus qui parlent divers dialectes, mais dont les mœurs sont partout les mêmes. Tous les villages qui ne sont pas à une très-grande distance du Mékong sont tributaires : les plus rapprochés de la ville travaillent aux constructions du roi et des princes, et ont toutes les corvées pénibles ; les autres payent leur tribut en riz. Leurs habitations sont situées dans les endroits les plus touffus des forêts et où ils savent seuls se frayer un sentier. Leurs cultures se trouvent sur le penchant et au sommet des montagnes. En un mot, ils emploient les mêmes moyens que les animaux sauvages pour échapper à leurs ennemis sans les combattre, et conserver la liberté et l’indépendance, qui sont pour eux, comme pour toutes les créatures de Dieu, des biens suprêmes.

Homme de Laos. — Dessin de Janet-Lange d’après M. Mouhot.


XXVIII

Luang-Prabang. — Notes de voyages à l’est et au nord de cette ville. — Derniers traits du journal. — Mort du voyageur.

Le 5 août, après dix jours d’attente, j’ai été enfin présenté au roi de Luang-Prabang avec une pompe mirobolante. Tout le monde était sous les armes ; la salle du Trône, sorte de hangar comme ceux qu’on élève dans nos villages aux jours de fête, mais de plus grande dimension, était tendue de toutes les couleurs qu’on avait pu réunir. Sa Majesté, « le roi des Ruminants, » un triste sire et un sire bien triste, trônait à une extrémité de cette salle, mollement demi-couché sur un divan, ayant à sa droite quatre gardes accroupis tenant chacun un sabre ; derrière lui, une kyrielle de princes prosternés ; plus loin, les sénateurs tournant le dos au public, le nez dans la poussière, rangés sur deux files de chaque côté du parallélogramme ; puis en face de Sa Majesté, mon humble personne, tout habillée de blanc, tranquillement assise sur un tapis, ayant à sa droite des bassins, des théières et crachoirs d’argent, contemplait cette scène et avait beaucoup de peine à tenir son sérieux, tout en fumant son bouri et songeant combien il eût été facile de faire un mauvais calembour sur toute cette basse-cour.

Cette visite me coûta un fusil pour le premier roi, une quantité d’autres petits présents pour les princes : car on ne peut voyager dans tous ces pays sans être bien muni de cadeaux pour les souverains, princes, mandarins et autres espèces du même genre.

Heureusement, ici ce n’est plus comme à Siam, je trouve de l’aide dans les indigènes. Avec deux, trois et tout au plus quatre pouces de fil de laiton, je me procure un beau longicorne, ou tout autre insecte ; on m’en apporte de tous les côtés ; c’est ainsi que j’ai réussi, en route, à recueillir des richesses inappréciables, si bien que cinq pièces de toile rouge y ont passé ; j’ai renouvelé ma provision ici avec les économies faites en route, et j’en ai pour six mois. Tout ira de mieux en mieux, surtout chez les bons sauvages que je vais visiter.

Le lendemain de ma première audience, j’en eus une autre du deuxième roi, qui voulait aussi des cadeaux ; je fouillai dans ma caisse de bimbeloterie, qui ailleurs me