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plupart de ces pauvres petits êtres tremblent de la fièvre. Le lieu que j’habite est dans une vallée formée par une ceinture de montagnes venant de Nophabury et de Phrâbat, contre-forts de la chaîne qui, contournant le bassin du Ménam, se relie à celles de la péninsule et de la Birmanie. Le mont Khoc s’étend à un kilomètre de la rive gauche de la rivière, autour d’un espace demi-circulaire, puis se rattache aux montagnes qui courent à l’est vers Korat et au nord vers le M’Lôm et le Thibet. En face du mont Khoc, d’autres monts s’élèvent en pente abrupte à partir de la rive droite qu’ils dominent un instant pour se prolonger à l’est où ils se réunissent à d’autres chaînes. C’est dans cette étroite vallée et sur les bords de la rivière qu’est situé le hameau que j’habite. Toute la contrée est dans un état sanitaire affreux ; cependant, comme tous les pays montagneux, elle recèle des choses admirables.

Éléphants sauvages amenés au kraal d’Ajuthia pendant l’inondation. — Dessin de E. Bocourt d’après M. Bocourt aîné.

Les pluies qui deviennent de plus en plus rares et qui ont même fini de tomber au nord ont déjà fait baisser le lit de la rivière de plus de vingt pieds. On me dit qu’à Boatioume elle est si étroite que les branches des arbres des deux rives se touchent et forment une voûte au-dessus de la tête des voyageurs. Ces montagnes, composées de calcaire, sont couvertes d’une puissante végétation, mais portent partout les traces de l’eau qui les recouvrait à une époque généalogiquement récente. De leur sommet on peut se représenter les limites qu’avait alors la mer ; on reconnaît du premier coup d’œil qu’elle envahissait la plaine qui se déroule au sud, et que tous les éperons des massifs montagneux formaient des caps, des golfes ou des îles. J’ai trouvé à peu de distance de leur base, sous une couche d’humus, des bancs de corail fossile et des coquillages marins en fort bon état de conservation[1].

Des que ma hutte fut achevée, ce qui ne fut ni long ni coûteux, nous y établîmes trois hamacs, nous nous mîmes en devoir de nous préparer un terrain de chasse pour les insectes, qui ne sont jamais plus abondants qu’à la fin et au commencement de la saison des pluies, et nous abattîmes une quantité d’arbres d’une grosseur raisonnable. Le métier de bûcheron est dur et pénible sous cette latitude, où le soleil, pompant l’humidité de la terre et des marécages dont nous sommes environnés, nous enveloppe d’une atmosphère d’étuve ou de serre chaude ; mais nos peines ont été largement compensées par une chasse abondante et fructueuse : les longicornes abondaient, et aujourd’hui j’ai une boîte pleine de plus de mille insectes rares et nouveaux ; j’ai même été assez heureux pour remplacer un certain nombre des rares espèces de Petchaburi qui ont été détruites ou détériorées par l’eau de mer dans ma collection naufragée avec le Sir J. Brooke.

Les habitants du village et des environs, et jusqu’aux talapoins des pagodes voisines, viennent chaque jour m’apporter des bêtes, comme ils disent ; les uns des sauterelles, les autres des scorpions ; qui des serpents, qui des tortues, etc., et le tout accroché au bout d’un bâton.

  1. « …Lorsque j’étais à Ajuthia, ayant eu occasion de faire des fouilles, pour chercher les vases sacrés qui furent enfouis lors de l’invasion des Birmans, en 1769, j’observai, partout où je fis creuser, qu’à la profondeur d’environ trois mètres on rencontrait une couche de tourbe noire d’un pied d’épaisseur, dans laquelle s’étaient formés quantité de beaux cristaux transparents de sulfate de chaux. (Disons en passant que les Siamois recueillent ces cristaux, les calcinent, et en obtiennent une poudre extrêmement fine et très-blanche, dont les comédiens et les comédiennes se frottent les bras et la figure.) Dans cette couche de tourbe on trouve, en outre, des troncs et des branches d’un arbre dont le bois est rouge, mais si fragile, qu’il se rompt sans effort. D’où je conclus que c’était là le niveau primitif du terrain, qui se sera élevé peu à peu par le sédiment qu’y déposent les eaux chaque année, à l’époque de l’inondation, aussi bien que par le détritus des feuilles et des plantes.

    « Il est dit dans les Annales de Siam, que sous le règne de Phra-Ruàng (environ l’an 650 de notre ère), les jonques chinoises pouvaient remonter le Më-Nam jusqu’à Sangkhalôk, qui est aujour-