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Halte du voyageur dans les jungles, entre Battambâng et Bangkok. — Dessin de Catenacci d’après M. Mouhot.



VOYAGE DANS LES ROYAUMES DE SIAM, DE CAMBODGE, DE LAOS

ET AUTRES PARTIES CENTRALES DE L’INDO-CHINE,


PAR FEU HENRI MOUHOT, NATURALISTE FRANÇAIS[1].
1858-1861. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.


XX

Quelques remarques sur les ruines d’Ongkor et sur l’ancien peuple du Cambodge.

La connaissance du sanscrit, celle du pali et de quelques langues modernes de l’Indoustan et de l’Indo-Chine, ainsi qu’une étude des inscriptions et bas-reliefs d’Ongkor, comparés avec un grand nombre d’épisodes des antiques poëmes héroïques de l’Inde, pourraient seules aider à trouver l’origine de l’ancien peuple du Cambodge, qui a laissé, d’une civilisation avancée, les imposants vestiges que nous venons d’admirer, et celle du peuple supposé conquérant qui, en lui succédant, paraît n’avoir su que détruire sans jamais rien édifier.

Jusqu’à ce que quelques savants en archéologie se vouent à cette œuvre, il est probable que l’on n’établira que des systèmes contradictoires, et croulant les uns sous les autres.

Si donc, ne pouvant faire mieux pour le moment que des suppositions, nous nous permettons ici d’émettre notre avis, c’est humblement et avec toute réserve.

Ongkor a été le Centre, la capitale d’un État riche puissant et civilisé, et nous ne craignons pas d’être contredit par aucun de ceux qui auront étudié ses grands monuments dans nos imparfaites esquisses.

Or, tout État puissant et riche suppose nécessairement une production relativement grande et un commerce étendu. Tout cela pouvait-il réellement exister autrefois au Cambodge ?

À cette première question, nous pouvons répondre avec assurance : Oui ! et tout cela existerait probablement encore, si le pays était gouverné par des lois sages, si le travail et l’agriculture y étaient encouragés, honorés, au lieu d’y être méprisés et le peuple pressuré, si le gouvernement n’y exerçait pas un despotisme aussi absolu ; et surtout si, sur ce sol fécond, ne prévalait pas ce malheureux état d’esclavage qui y arrête tout développement, qui place l’homme au niveau de la brute, et qui l’empêche de produire au delà de ses besoins, car plus il produit, plus il doit payer d’impôts[2].

La terre, dans la plupart de ses provinces anciennes ou actuelles, y est d’une fertilité surprenante ; le riz de la province de Battambâng est d’une qualité supérieure à celui de la basse Cochinchine ; les forêts recèlent partout des gommes précieuses, telles que la gomme-gutte, la gomme-laque, la cardamome et beaucoup d’autres, ainsi que des résines utiles.

Ces mêmes forêts produisent des bois de tabletterie et

  1. Suite. — Voy. pages 219, 225, 241, 257, 273 et 289.
  2. Ceci soit dit pour le Cambodge comme pour le Siam, car le premier est tributaire du second.