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dans le même système que les toits en voûte des temples, restent encore debout. Les piles sont formées de blocs de grès, les uns longs, les autres carrés posés en assises irrégulières ; on en voit quelques-uns qui sont sculptés et qui, s’ils n’ont pas été pris à d’autres monuments, devaient être des rebuts rejetés à cause de quelques défauts, car ils sont souvent posés à contre-sens.

Ce pont, avec ses quatorze arches étroites, peut avoir quarante-deux à quarante-trois mètres de long et quatre à cinq mètres de large.

La rivière, au lieu de passer sous les arches, coule maintenant à côté ; son lit ayant été modifié depuis la construction du pont par les sables qu’elle charrie, et qui se sont accumulés au pied des arches et autour des pierres éboulées, de manière à cacher la moitié des premières.

Sous le pont même, il y a très-peu de sable.

Il devait servir a faire communiquer la cité d’Ongkor la grande avec la haute et large chaussée qui, coupant la province de l’ouest à l’est sur un espace d’une trentaine de milles, se dirige ensuite vers le sud.

Statue du roi lépreux. — Dessin de Thérond d’après M. Mouhot.

Presque chaque ruine, sur ce sol bouleversé, est riche en inscriptions gravées en divers caractères dont les uns sont employés assez généralement et les autres fort rarement. Les caractères les plus usités parmi les Cambodgiens sont ceux de l’alphabet pali ; mais personne, à Siam ou au Cambodge, n’a encore pu traduire ces inscriptions, quoiqu’on puisse les distinguer facilement. Les naturels prétendent qu’il y a une clef à trouver pour déchiffrer ces caractères ; mais ils ne l’ont pas encore découverte. Ils montrent une pierre qu’ils prétendent communiquer sous terre jusqu’à la mer ; ils affirment que, lorsque les vagues sont hautes, la pierre remue ; leurs connaissances géologiques ne sont pas assez avancées pour qu’ils puissent expliquer ce fait. À trois jours de distance de Ongkor, on voit, suivant les récits des indigènes, les ruines de trois cités à côté d’un vaste sanctuaire, et de tous les côtés il existe des vestiges d’édifices qui prouvent que cette contrée, aujourd’hui déserte, a été autrefois très-peuplée et très-florissante. Il y a peu de nations qui présentent un contraste aussi étonnant que le Cambodge, entre la grandeur de leur passé, arrivée au point le plus culminant, et l’abjection de la barbarie actuelle. On n’en rencontrerait aujourd’hui aucune autre aussi complétement privée de souvenirs, de traditions, de documents quelconques sur son histoire. À part les récits fabuleux des historiens chinois et quelques légendes plus probablement composées par les prêtres qui dominent les esprits de ce peuple superstitieux, que transmises de génération en génération, le monde ne possède aucune relation sur ce pays autrefois si puissant, aujourd’hui si dégradé.

Le roi actuel du Cambodge, a prétendu avoir trouvé des documents assez positifs pour pouvoir établir l’histoire d’Ongkor jusqu’à une époque qui précède l’ère chrétienne ; il y a quelques années, en interdisant la monnaie sphérique pour la remplacer par une monnaie plate, il saisit l’occasion de perpétuer le souvenir d’Ongkor-Wat et de sa grandeur, en faisant représenter une vue de l’édifice sur la monnaie. Le souverain régnant de Siam, qui a été pendant plusieurs années chef d’un temple, et qui porte un grand intérêt à cette question, soit à cause des associations d’idées de son ancienne profession, soit parce que le fondateur de sa dynastie était originaire de Cambodge, assure que toute l’histoire de l’Inde au delà du Gange, remontant à plus de quatre cents ans, est indigne de foi et remplie de fables ridicules. Dans un des livres Canoniques bouddhistes, le Cambodge, cité comme la seizième des seize nations les plus puissantes de la terre, est signalé comme un pays où les idées libérales ont un grand essor, car on n’y connaît ni aristocratie ni servitude héréditaire. Suivant le même document, ce serait au troisième siècle de l’ère chrétienne qu’aurait vécu le fondateur d’Ongkor-Wat. Il s’appelait Bua-Sivisithiwong ; le premier, il a fait venir des prêtres bouddhistes du Ceylan dans son pays, importation qui s’est souvent renouvelée depuis. Ces exilés volontaires apportèrent avec eux leurs travaux dogmatiques, et, dans le but de préserver ces documents sacrés, le roi fit construire tout exprès un monument de pierre où l’on prétend qu’ils sont restés intacts. Ces livres étaient faits avec les matériaux ordinaires à cette époque, des feuilles de palmiers.