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la plus grande partie de ces somptueux monuments. L’œuvre de destruction continue même pour ceux qui s’élèvent encore, imposant et majestueux, à côté d’amas de décombres, et c’est en vain que l’on cherche d’autres souvenirs historiques de tous les rois qui ont dû se succéder sur le trône de l’auguste royaume Maha-Nokhor-Khmer, que celui d’un roi lépreux auquel quelques-uns attribuent la fondation du grand temple. Tout le reste est totalement oublié, les quelques inscriptions qui couvrent certaines parois sont indéchiffrables pour les lettrés du pays, et lorsque l’on interroge les indigènes sur les fondateurs d’Ongkor-Wat, ils font invariablement une de ces quatre réponses : « C’est l’ouvrage du roi des anges, Pra-Enn, » ou bien : « c’est l’œuvre des géants, » ou encore : « on doit ces édifices au fameux roi lépreux, » ou enfin : « ils se sont créés d’eux-mêmes. »

Façade orientale du grand temple d’Ongkor. — Dessin de Guiaud d’après M. Mouhot.

Un travail de géants ! L’expression certainement serait juste si on l’employait au figuré pour parler de ces travaux prodigieux dont la vue seule peut donner une juste idée, et dans lesquels la patience, la force et le génie de l’homme semblent s’être surpassés, afin de confondre l’imagination et laisser des preuves de leur puissance aux générations futures.

Chose étrange, cependant, aucun de ces monuments ne semble avoir été créé en vue de servir d’habitation ; tous semblent porter le cachet des idées du bouddhisme. Dans le palais même, statues et bas-reliefs ne représentent que des sujets exclusivement civils ou religieux ; c’est une suite de rois entourés de leurs femmes, la tête et le corps chargés d’ornements, tels que bracelets et colliers, et vêtus d’un étroit langouti.

Partout ailleurs l’on découvre des monceaux de débris de porcelaine et de poterie, beaucoup d’ornements, des instruments de fer, des lingots d’argent, pareils à ceux en usage comme monnaie en Cochinchine et appelés naines, mais beaucoup plus gros.

Naines ou lingots servant de monnaie.

Les naines actuelles pèsent trois cent soixante-dix-huit grammes.

Monnaies nouvelles de Siam.

Ce qui a pu faire choisir cette localité de préférence à d’autres peut-être plus avantageuses sons bien des rapports, c’est sans doute la position centrale qu’elle occupe, car le minerai d’or dont nous avons reconnu l’existence dans une roche de quartz du voisinage ne doit entrer que pour peu dans ce choix, je le suppose du moins.

Situé à quinze milles du grand lac, dans une plaine en grande partie sablonneuse et aride, sous tous les rapports en un mot, à moins que la nature du terrain n’ait changé, la métropole d’un grand empire aurait trouvé sur les rives du grand fleuve, un autre emplacement plus abondant en ressources, et offrant surtout des communications faciles.

Quoique sans la moindre prétention en science architecturale, non plus qu’en archéologie, j’essayerai cependant de décrire ce que j’ai vu et senti à Ongkor, dans le seul espoir de contribuer, selon mes faibles capacités, à enrichir d’un nouveau champ le terrain de la science, et d’attirer sur une scène nouvelle l’attention des savants qui font de l’Orient l’objet de leurs études spéciales.