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rique l’a maintenant, avec ses colonies d’Australie, des Indes, de la Jamaïque, de la Nouvelle-Zélande, etc. ; et nous serons peut-être obligés d’acheter d’elle, de même qu’elle et nous aujourd’hui nous achetons à l’étranger. Pourquoi ne deviendrions-nous pas nous-mêmes nos propres fournisseurs ? Les terres de la seule île de Ko-Sutin, comme toutes celles des rives du Mékong sont, à titre de propriétés royales, louées aux planteurs de coton à raison d’une livre d’argent en poids et par lots d’un hectare à peu près, donnant un revenu de plus de douze cents francs. Les forêts situées sur les terrains élevés donnent de beaux bois de construction, célèbres à juste titre ; on y trouve également des arbres à gomme et à résine très-recherchés dans le commerce, le bois d’aigle et plusieurs espèces de bois de teinture.

Monument religieux des Chinois de Bangkok. — Dessin de Thérond d’après une photographie.

Les montagnes renferment des mines d’or, de plomb argentifère, de zinc, de cuivre et de fer ; ces dernières surtout sont très-communes.

On s’étonne de voir une production minime, une industrie nulle dans ces contrées si fertiles et si riches, mais on ignore généralement que les rois et les mandarins s’enrichissent par la spoliation et la concussion, et tous les abus qui ruinent le peuple et arrêtent le progrès. Que ce pays soit administré avec sagesse et prudence, avec loyauté et protection pour le peuple, et tout y changera d’aspect avec une merveilleuse rapidité.

Toutes les taxes pèsent sur le producteur, le cultivateur ; plus il produit, plus il paye ; donc, porté à la paresse par l’influence du climat, il a une autre raison pour caresser ce vice : moins il produira, moins il payera, et par conséquent moins il aura à travailler. Non-seulement on retient la plus grande et la meilleure partie de la population en esclavage, mais toute espèce d’extorsions, de concussions sont employées par les hauts mandarins, les gouverneurs, les ministres, les princes, les rois eux-mêmes.


XVII

Traversée du lac Touli-Sap. La rivière, la ville et la province de Battambâng. — Population et ruines. — Voyage aux ruines d’Ongkor. — Leur description.

Il me fallut trois grandes journées de navigation pour traverser, dans son grand diamètre, la petite Méditerranée du Cambodge, vaste réservoir d’eau douce, et on pourrait dire, de vie animale, tant les poissons abondent en son sein, tant les palmipèdes de toute taille et de toutes couleurs pullulent à sa surface.

À l’extrémité nord du lac, des milliers de pélicans cinglent en troupes serrées dans toutes les directions, tantôt rentrant, tantôt allongeant leur cou pour saisir quelque proie ; des nuées de cormorans fendent l’air à quelques pieds au-dessus de l’eau : la teinte de leur sombre manteau tranche avec la couleur claire des pélicans, parmi lesquels ils se confondent, et surtout avec l’éclatante blancheur des aigrettes qui, groupées sur les branches des arbres de la rive, ressemblent à d’énormes boules de neige.

En entrant dans la rivière de Kun-Borèye, formée de plusieurs cours d’eau, dont l’un porte le nom de Battambâng, le même spectacle se continue sur une scène plus resserrée ; partout c’est une animation extraordinaire de cette gent volatile et pêcheuse.

Et nous, à son exemple, nous cherchons à mettre à profit les heures de notre navigation.

Le soleil est sur son déclin, vite il faut écorcher oiseaux et animaux, que la chaleur peut gâter en très-peu de temps ; nous serrons nos rames ; les domestiques allument le feu pour cuire le riz, et tout en nous laissant bercer par la vague et fumant quelques bons bouris, nous écoutons mon petit Chinois Phraï nous racontant quelque histoire dans son langage mêlé de français, de siamois et de chinois.

À la pointe du jour, tandis que les premiers rayons