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Les jungles (pays des Stiêngs). — Dessin de Catenacci d’après M. Mouhot.


VOYAGE DANS LES ROYAUMES DE SIAM, DE CAMBODGE, DE LAOS

ET AUTRES PARTIES CENTRALES DE L’INDO-CHINE


PAR FEU HENRI MOUHOT, NATURALISTE FRANÇAIS[1].
1858-1861. TEXTE ET DESSINS INÉDITS.


XVI

Retour à Pinhalu et à Udong. — Le grand lac Touli-Sap. — Rencontre de neuf éléphants. — Oppression du peuple. — Sur la régénération éventuelle du Cambodge.

Je passai trois mois à Brelum, rayonnant de cette localité hospitalière partout où m’entraînait l’ardeur de la chasse ou les exigences de l’étude. Celles-ci me poussèrent au nord, dans la vallée du grand fleuve, jusqu”à mi-chemin de Bassac, dans un district métallurgique où d’excellent minerai de fer attend l’industrie européenne. La chasse m’entraîna souvent au sud ouest, dans la zone forestière que les haines de races ont ménagée entre les tribus du Mékong et l’empire annamite ; sorte de marche déserte dont les tigres seuls font la police.

Pendant ces trois mois, mes deux pauvres serviteurs furent presque constamment malades des fièvres. Je m’estime fort heureux d’avoir eu jusqu’ici la chance de conserver ma santé ; même dans ces forêts je n’ai pas eu une seule attaque de fièvre. Dans la saison des pluies l’air est d’une humidité et d’une pesanteur extrêmes ; au milieu des forêts les plus épaisses et ou le soleil pénètre à peine, on se croirait dans une étuve, et au moindre exercice un peu violent je rentrais mouillé de transpiration. Pendant les mois de septembre et d’octobre, les pluies torrentielles tombèrent sans interruption le jour et la nuit. En juillet et août nous n’avions guère eu que quelques violents orages éclatant tous les deux ou trois jours. Au commencement de novembre, le vent changea, et nous amena quelques nuits fraîches qui firent tomber le thermomètre à douze degrés centigrades. De midi à trois heures, la température variait peu, c’est-à-dire de trente à trente-trois degrés centigrades.

Le 29, je quittai mon aimable compatriote et ami M. Arnoux à notre commun regret, j’ose le dire, et me mis en route accompagné du P. Guilloux, qui avait quelques affaires à terminer à Pinhalu. Tous deux auraient bien voulu que je restasse en leur compagnie jusqu’à ce que la Cochinchine fût ouverte et que je pusse la traverser. Je l’aurais désiré si j’avais prévu une fin prochaine à la guerre ; mais dans l’état où étaient les choses, c’était de toute impossibilité.

Jusqu’à Pump-ka-Daye, qui est, ainsi que je l’ai déjà dit, le premier village que l’on rencontre en venant de Brelum, j’eus la société et l’aide des missionnaires et du vieux chef des Stiengs, qui me fournirent trois chariots pour mon bagage, tandis que Phraï et les An-

  1. Suite. — Voy. pages 219, 225, 241, 257 et 273.