Page:Le Tour du monde - 08.djvu/286

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reste ils ont beaucoup de propreté ; ils se baignent par tous les temps, et souvent trois fois par jour.

Le Stiêng n’a pas plus de rapport dans les traits avec l’Annamite qu’avec le Cambodgien ; comme le premier cependant il porte la chevelure longue, tournée en torchon, mais fixée plus bas par un peigne de bambou ; très-souvent il y passe pour ornement un bout de fil de laiton surmonté d’une crête de faisan. Sa taille est un peu au-dessus de la moyenne ; sans être fort, il est bien proportionné et a une apparence robuste. Ses traits sont généralement réguliers ; d’épais sourcils et une barbe assez bien fournie quand il ne s’arrache pas les poils des joues, lui donnent un air grave et sombre.

Son front est généralement bien développé et annonce une grande intelligence qui effectivement est fort au-dessus de celle du Cambodgien. Ses mœurs sont hospitalières, et l’étranger est toujours certain d’être bien accueilli et même fêté chez lui. Quand il en reçoit un, on tue un porc, ou on met la poule au pot et on boit le vin. Cette boisson ne se prend ni dans des verres ni dans des vases, mais on la suce dans une grande jarre, à l’aide d’un tube de bambou ; elle est tirée du riz, fermentée, mais rarement distillée. Lorsqu’on vous offre le tuyau de bambou, le refuser est une grande impolitesse, et plus d’un sauvage l’a payée d’un coup de couteau. Le même usage veut que l’on mange en entier le morceau qui vous est échu en partage.

Leur unique vêtement est une longue écharpe qui, lorsqu’elle est sur leur corps, ne paraît pas avoir plus de deux pouces de largeur ; je les surpris souvent tout à fait nus dans leurs cabanes ; mais alors ils se recouvraient aussitôt qu’ils m’apercevaient.

La plus grande liberté est laissée aux esclaves, et ils n’infligent jamais de peine corporelle à un homme : pour vol, on condamne le fripon à tuer un porc ou un bœuf et à une ou plusieurs jarres de vin ; tout le village prend part au festin, et lorsque l’individu ne se soumet pas à cette condamnation, sa dette augmente promptement, et il ne tarde pas à en être pour quinze ou vingt buffles ; alors il est vendu comme esclave.

Les Stiêngs n’ont ni prêtres ni temples ; cependant ils reconnaissent l’existence d’un être suprême auquel ils rapportent tout bien et tout mal ; ils l’appellent Brâ et l’invoquent dans toutes les circonstances. Les mariages se font par-devant les chefs de la tribu et sont toujours accompagnés de réjouissances.

Les funérailles se font solennellement ; tout le village y assiste ; les proches parents du défunt seuls restent quelquefois à la maison ; tous les assistants, tristes ou non, poussent des cris lamentables. On inhume les morts près de leurs demeures, on recouvre la tombe d’un petit toit de feuilles, puis on y dépose des calebasses pleines d’eau, des flèches, quelquefois de petits arcs, et tous les jours un des membres de la famille y sème quelques grains de riz, afin que le défunt puisse se nourrir et continuer à vivre comme jadis. Sous ce rapport, ils ont les mêmes habitudes que les Chinois. Avant chaque repas, ils ont soin de répandre à terre un peu de riz pour alimenter l’âme de leurs ancêtres ; dans les sentiers fréquentés autrefois par eux, dans leurs champs, ils font les mêmes petits sacrifices. Au bout d’un long bambou planté en terre, ils suspendent des panaches arrachés aux roseaux ; plus bas, ils attachent de petits bambous qui contiennent quelques gouttes d’eau et de vin ; et enfin, sur un petit treillage élevé au-dessus du sol, ils déposent un peu de terre, y plantent une flèche, y jettent quelques grains de riz cuit, un os, un peu de tabac et une feuille.

Selon leurs croyances, les animaux ont aussi une âme qui continue à errer après la mort ; aussi, quand ils en ont tué un, dans la crainte que cette âme ne vienne les tourmenter, ils lui demandent pardon du mal qu’ils lui ont fait et lui offrent de petits sacrifices proportionnés à la force et à la grandeur de l’animal. Pour un éléphant, la cérémonie est pompeuse : on dresse des couronnes pour orner sa tête, le tam-tam, le tambourin et les chants retentissent pendant sept jours consécutifs. Tout le village, appelé au son de la trompe, accourt et prend part à la fête, et chacun a droit à un morceau.

Les Stiêngs fument la chair des animaux qu’ils veulent conserver longtemps ; mais comme d’ordinaire tous ceux qu’ils tuent ou prennent à la chasse sont mangés sur le terrain même dans l’espace de deux ou trois jours, ils se contentent de les faire roussir en entier et sans les dépouiller ; plus tard, ils les dépècent et les cuisent soit dans le creux d’un bambou vert, soit sur des charbons.

Il est rare de rencontrer un sauvage sans qu’il ait son arbalète à la main, son couperet sur l’épaule et une petite hotte sur le dos, qui lui sert de gibecière et de carquois.

La chasse et la pêche occupent tout le temps que ne réclament pas le champ. Ils sont infatigables à la course, et ils glissent dans les bois les plus épais avec la vélocité du cerf. Ils sont vifs, légers, et supportent la fatigue sans paraître la ressentir ; les femmes paraissent aussi agiles et aussi robustes que les hommes. Leurs arbalètes ont une grande force, et ils s’en servent très-adroitement, mais rarement à une distance de plus de cinquante pas. Le poison qui sert à envenimer leurs flèches pour la chasse des gros animaux est d’une activité très-rapide lorsqu’il est nouvellement employé. Si l’animal, éléphant, rhinocéros ou tigre, a été atteint de manière à pénétrer un tant soit peu dans les chairs et communiquer le poison au sang, on est presque sûr de le trouver à quelques centaines de mètres de l’endroit où il a été frappé.

La manière de chasser le tigre est bien différente chez les Annamites qui confinent au territoire des Stiêngs. Là, dès qu’un tigre a enlevé quelqu’un dans une localité, tous les hommes accourent des environs au son du tam-tam pour se mettre aux ordres d’un chasseur dénommé et traquer l’animal.

Comme d’ordinaire, le tigre se couche toujours près de l’endroit où il a laissé les restes de son repas ; lorsqu’on trouve ceux-ci, on est presque sûr que « le sei-