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des habitations on bêchait les potagers et on commençait la plantation des légumes ; mais les horribles moustiques avaient reparu en essaims plus formidables encore, et après avoir ramé tout le jour, mes pauvres domestiques ne pouvaient même goûter de repos pendant la nuit. Pendant le jour, surtout près de Pakpriau, la chaleur était excessive. Le thermomètre était ordinairement à quatre-vingt-dix degrés Fahrenheit (trente-deux degrés centigrades) à l’ombre, et cent quarante degrés Fahrenheit (soixante degrés centigrades) au soleil. Heureusement nous n’avions plus à lutter contre le courant, et, quoique passablement chargée, notre barque filait rapidement. Nous n’étions plus qu’à trois heures de Bangkok, lorsque j’aperçus deux canots européens amarrés au bord du fleuve, et dans une salle de voyageurs, auprès d’une pagode, trois capitaines anglais de ma connaissance qui, avec leurs femmes, faisaient un joyeux pique-nique. L’un des trois était celui qui m’avait amené à Singapore ; il vint au-devant de moi et m’entraîna partager leur déjeuner.

Vue des montagnes de Kôrat, près de Patawi. — Dessin de Catenacci d’après M. Mouhot.

Le même jour j’arrivai à Bangkok, et je ne savais encore où descendre, lorsque M. Wilson, l’aimable consul du Danemark, vint au-devant de moi et m’offrit gracieusement l’hospitalité dans sa magnifique demeure. Je dois considérer la partie du pays que je viens de parcourir comme très-saine, sauf peut-être à l’époque des pluies ; il paraît qu’alors l’eau qui découle des montagnes, après avoir passé sur une foule de détritus vénéneux et s’être imprégnée de substances minérales, donne naissance à des miasmes délétères d’où s’échappe la terrible fièvre des bois (jungle fever), qui, si elle ne vous emporte pas au premier accès, ne vous quitte qu’après plusieurs années de souffrances.

Mon voyage a eu lieu à la fin de la saison des pluies, lorsque les terrains qui avaient été inondés commençaient à se dessécher ; il s’en élevait quelques miasmes, et j’ai vu plusieurs indigènes atteints de fièvres intermittentes ; cependant je n’ai pas cessé un instant de me bien porter. Dois-je l’attribuer au régime que je suivais et qui m’a souvent été recommandé, c’est-à-dire de ne boire que du thé, jamais ou très-rarement de vin ni de spiritueux, et jamais d’eau fraîche ? Je le pense, et je crois qu’en agissant toujours ainsi on ne courrait aucun danger sérieux dans les localités les plus malsaines.

Henri Mouhot.

(La suite à la prochaine livraison.)