Page:Le Tour du monde - 08.djvu/247

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les siens. Phaya-Tak se trouva bientôt à la tête de dix mille hommes, et fit des traités avec les chefs du nord et du sud-est du Cambodge et de l’Annam ou Cochinchine. Usant tantôt de ruse, tantôt de force, il s’empara des districts du nord et surprit Phaya-Nackong, le gouverneur des Birmans, à Bangkok, le tua et s’empara de tout le butin de l’ennemi : argent, provisions et munitions de guerre. Toutefois, ne jugeant pas ses forces capables de résister à une nouvelle invasion qui était probable, il se décida à se retirer plus au midi et à établir le centre de son pouvoir à Bangkok : cet endroit, plus rapproché de la mer, était aussi plus favorable à une retraite si la fortune lui devenait contraire. Il y arriva à la tête de ses troupes, y établit sa capitale, et bâtit son palais sur le bord occidental du fleuve, près du fort qui est resté debout jusqu’à présent.

« Poursuivant son œuvre avec une rare persistance, il eut encore plusieurs rencontres avec les Birmans, et les vainquit surtout au moyen d’une flottille qui multipliait ses forces. Une fois il s’empara de tout leur camp et d’une partie du butin qu’ils avaient ramassé ; enfin il délivra complétement le pays de ces ennemis, qui y avaient porté la désolation et la terreur. Le peuple, le reconnaissant comme son sauveur, ne s’opposa nullement à son désir de ceindre la couronne ; il envoya de Bangkok des ordres, des gouverneurs et des colonies même pour repeupler le pays dans diverses directions. Ainsi, à la fin de 1768, il se voyait le souverain absolu de toute la partie méridionale de Siam et de la province orientale baignée par le golfe. Profitant d’une guerre acharnée de la Chine avec les Birmans, il reconquit la province du nord ou de Korat. Deux autres provinces qui, pendant l’invasion étrangère, s’étaient affranchies complétement, furent recouvrées encore par Phaya-Tak ; au bout de trois ans, il était le maître incontesté du Siam, et il consolida de plus en plus son autorité, rétablissant partout l’ordre et la paix. Ayant réorganisé complétement le royaume, il lui fut facile de résister à une nouvelle attaque des Birmans en 1771 ; l’année suivante, il dirigea une expédition contre la péninsule malaie, dans l’intention de prendre possession de Ligor, la capitale, dont le gouverneur, ancien sujet des rois d’Ajuthia, s’était revêtu lui-même de la royauté et avait montré des dispositions hostiles contre le nouveau roi de Siam, qu’il traitait d’usurpateur. Après quelques rencontres assez vives, le gouverneur de Ligor se réfugia chez le chef de Patawi, autre ville de la péninsule malaie ; cependant il fut livré aux affidés de Phaya-Tak, qui, dans l’intervalle, était entré à Ligor et y avait saisi toute la famille du gouverneur et tous ses trésors. Parmi les membres de cette famille quasi royale se trouvait la fille du gouverneur rebelle, personne d’une grande beauté, à laquelle le roi de Siam daigna donner une place dans son harem ; grâce à son intervention, son père et tous les membres de sa famille eurent la vie sauve, et même plus tard (en 1776) le gouverneur de Ligor fut réintégré dans la vice-royauté de cette contrée, gouvernée jusqu’aujourd’hui par ses descendants. »

Tels sont les traits rapides du travail historique écrit, il y a peu d’années, par le premier roi de Siam. Complétons ce récit d’après d’autres données. Le terme du règne de Phaya-Tak ne fut nullement heureux. Tombé, dans les dernières années de sa vie, dans une noire mélancolie, il devint cruel et perdit sa popularité. Un de ses généraux, Chakri, qui commandait dans le Cambodge, se prévalut de ces circonstances pour ourdir contre lui un complot ; il surprit le roi à Bangkok, le mit aux fers et peu après à mort (1782). Alors Chakri lui-même prit le sceptre ; toutefois il mourut peu de temps après et eut pour successeur son fils, sous lequel les anciennes querelles avec les Birmans se ravivèrent, surtout à propos de quelques districts du nord, aux frontières indécises. Deux fois le roi de Siam sortit vainqueur de ces luttes ; lorsque les Birmans revinrent à la charge pour la troisième fois, le roi perdit la partie occidentale du pays, qui depuis relève de la Birmanie. Le roi mourut en 1811 ; son fils et successeur, craignant ou feignant de craindre de nouveaux complots, fit décapiter cent dix-sept nobles siamois, parmi lesquels il y avait plusieurs généraux qui avaient vaillamment combattu à côté de son père contre les Birmans ; un de ses cousins, très-aimé du peuple, tomba également victime parmi ces supplices multiples qui aliénèrent au prince l’affection de ses sujets. Sous d’autres rapports, son règne portait cependant le cachet d’une certaine habileté. Il avait repoussé avec succès les attaques incessantes des Birmans et réprimé plusieurs révoltes. Il emmena tous les prisonniers de guerre captifs à Bangkok, leur donna des terres à cultiver, et contribua ainsi d’une manière efficace à la prospérité de sa résidence. Il sut maîtriser aussi l’humeur inquiète des Malais.

C’est sous son règne que parut à Bangkok la mission anglaise dirigée par sir John Crawfurd, diplomate aussi estimable que savant distingué.

Quand ce souverain mourut, en 1824, son fils Chào-Fa-Mongkut n’avait guère que vingt ans ; en sa qualité de fils aîné de la reine, le trône lui appartenait ; mais un de ses frères, fils d’une concubine et plus âgé que lui, s’empara du pouvoir en disant au prince : « Tu es encore trop jeune, laisse-moi régner quelques années, et, plus tard, je te remettrai la couronne. » Il se fit donc proclamer roi, sous le nom de Phra-Chào-Prasat-Thong. Une fois assis sur le trône, il paraît que l’usurpateur, s’y trouvant bien, ne songea plus à remplir sa promesse. Cependant le prince Chào-Fa, craignant que s’il acceptait quelque charge dans le gouvernement, tôt ou tard, et sous quelque spécieux prétexte, son frère ne vînt attenter à sa vie, se réfugia prudemment dans une pagode, et se fit talapoin. Il se passa deux événements mémorables sous le règne de Phra-Chào-Prasat-Thong : le premier fut la guerre qui eut lieu en 1829 contre le roi laotien de Vieng-Chang ; ce monarque, fait prisonnier, fut amené à Bangkok, mis dans une cage de fer, exposé aux insultes de la populace, et ne tarda pas à succomber aux mauvais traitements qu’il endurait. Le second fut une expédition dirigée contre les Cochinchinois, par