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des plumes arrachées, finit par des coups de poing et des yeux pochés.

Le gouvernement, qui cherche à interdire les combats de coqs aux parents, permet aux enfants les combats de fourmilions, de grillons, de sauterelles, et même de deux espèces de petits poissons querelleurs et rageurs, qui se livrent des assauts acharnés au grand plaisir de la marmaille ; en ceci, comme en beaucoup d’autres choses, le gouvernement semble peu logique : mais que voulez vous ? il cède à cette considération suprême : il faut que le peuple s’amuse ! Les combats de buffles et d’éléphants sont très-goûtés de lui, mais coûtent beaucoup ; on ne peut les lui offrir que rarement, de même que les grandes régates et les joutes sur l’eau. Heureusement, pour remplir les entractes de ces représentations extraordinaires, on peut compter sur les grandes funérailles, qui ont toujours pour intermèdes obligés la lutte, le pugilat, les danses sur la corde, les feux d’artifice, les marionnettes, les ombres chinoises et la comédie en plein vent.

Comédienne de la troupe du roi. — Dessin de E. Bocourt d’après une photographie.

De tous les amusements que l’on jette en pâture au bon peuple siamois, celui-ci est le plus de son goût ; le théâtre cependant ne consiste guère qu’en une salle ouverte de tous côtés, sorte de tréteau sur lequel des acteurs et des actrices au corps frotté de poudre blanche, aux longs bonnets pointus, aux longues oreilles postiches, aux vêtements de polichinelles et aux bijoux de clinquant, chantent et crient, à tour de rôle ou en chœur, des histoires fabuleuses et des scénarios fantastiques, en s’accompagnant d’une pantomime bizarre. Eh bien ! tel est l’attrait irrésistible de ce spectacle sur la foule qui le contemple et l’entend, qu’elle ne le quitte pas un instant du regard et de l’ouïe pendant les vingt-quatre heures qui forment la durée moyenne d’une représentation de ce genre.

À Siam, chaque grand personnage possède un théâtre et entretient une troupe d’acteurs. Sa Majesté naturellement a les siens, dont je puis parler, ayant eu l’honneur d’être convié à un spectacle à la cour. Le théâtre s’élève dans une cour attenante à la salle d’audience Des draperies de soie rouge et blanche, des boiseries sculptées et un nombre infini de ces immenses découpures en carton dans lesquelles excellent les Siamois, en forment les décors. Une vaste tribune, située à droite de la scène, que de riches tentures désignaient à nos regards, était destinée à Sa Majesté elle-même. Tous les grands mandarins étaient prosternés au bas des degrés qui y conduisaient. Une grande estrade située en avant de la scène et de plain-pied avec elle, était garnie de chaises et de fauteuils à l’intention des Européens. Le roi nous ayant précédés de quelques minutes, nous dûmes aller le saluer et lui présenter nos respects avant de goûter les charmes de la représentation si pompeusement annoncée. Une musique étourdissante servit d’ouverture à la pièce. L’orchestre se distingua par un bruit épouvantable et une absence complète d’harmonie, plutôt que par la variété de son répertoire. La même phrase musicale nous fut jouée pendant cinq heures d’horloge, au grand contentement du roi et de ses courtisans. Je croirais volontiers que toute la science musicale de Siam se borne à ce terrible air ; car les autres représentations auxquelles j’ai été condamné d’assister ailleurs m’ont toujours fait entendre ces notes uniques et discordances. Enfin la pièce commença ; une foule d’acteurs et d’actrices s’élancèrent sur la scène, vêtus des costumes les plus bizarres qu’on puisse imaginer. Les soieries brodées d’or dans lesquelles ils se drapaient, les bonnets coniques ornés de pierres fausses et de verroteries qu’ils portaient fièrement sur leur tête, offraient un coup d’œil saisissant et curieux. Quant à leur jeu, on ne peut rien imaginer de plus simple ; il consiste presque uniquement en une pantomime originale sans doute, mais assez disgracieuse, que révèle un chœur criard, placé à peu de distance des acteurs. Ce que l’on joua, je ne puis le dire :