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reine ; au moyen d’une centaine de dames qui sont sous ses ordres, elle exerce une surveillance exacte sur la reine elle-même et sur les concubines du roi, qui sont des princesses de diverses nations ou des filles de grands mandarins que leurs pères ont offertes au prince ; elle commande en outre environ deux mille femmes ou jeunes filles employées au service du palais. La gouvernante de la maison de la reine est encore chargée de veiller sur les filles du roi et sur toutes les princesses, qui sont comme cloîtrées et ne peuvent jamais se marier. Toute cette troupe de femmes passent leur vie dans la triple enceinte de murs où elles sont enfermées, et ne peuvent sortir que rarement pour aller faire quelques achats ou pour aller porter des offrandes aux Toutes, depuis la reine jusqu’aux portières, reçoivent leur solde du roi, qui les entretient, du reste, avec beaucoup de luxe et de générosité. On dit que, dans la troisième enceinte, se trouve un jardin délicieux et fort curieux ; c’est un vaste enclos qui contient en miniature tout ce que l’on trouve en grand dans le monde. Là, il y a des montagnes factices, des bois, des rivières, un lac avec des îlots et des rochers, des petits vaisseaux, des barques, un bazar ou marché tenu par les femmes du palais, des pagodes, des pavillons, des belvédères, des statues, et surtout des arbres à fleurs et à fruits apportés des pays étrangers. Pendant la nuit, ce jardin est illuminé par des lanternes et des lustres ; c’est là que les dames du sérail prennent leur bain et se livrent à toutes sortes de divertissements pour se consoler d’être séquestrées du monde. »

Amazone de la garde du roi de Siam. — Dessin de H. Rousseau d’après une photographie.

Des portraits photographiés de quelques habitantes de ce gynécée étant aujourd’hui parvenus en Europe, nous devons nous empresser de déclarer qu’ils ont été exécutés sous les yeux du roi, quand ils ne l’ont pas été de sa propre main ; car Sa Majesté, qui ne doit rien ignorer, prétend que l’art des Niepce et des Daguerre n’a point de secrets pour elle. Quant aux sentinelles qui veillent le plus fréquemment autour du palais, elles appartiennent au bataillon des amazones, qu’à l’exemple de ses collègues le nizam d’Hyderabad et le roi de Dahomey, Phra-Somdetch-Mongkut, a recruté parmi les plus belles filles de son peuple. Les femmes-hommes, comme on les appelle ici, forment incontestablement le corps militaire le mieux tenu de l’armée siamoise ; mais à les voir évoluer fièrement, avec leur béret écossais, leur jupe de tartan, le sabre au côté, le pistolet à la ceinture, arc et carquois sur l’épaule, on les prendrait volontiers pour des échappées du corps de ballet de l’Académie impériale de musique.


V

Jeux et spectacles.

Comme toutes les populations serviles, celle de Siam donne une bonne part de son existence, la meilleure devrais-je dire, aux jeux et divertissements. Le jeu sous toutes ses formes est, immédiatement après le pain quotidien, dont, au reste, elle n’a souci que quand elle a faim, sa préoccupation dominante. Il lui faut des amusements, des hochets, pour toutes les heures et pour tous les âges. Aux enfants du matin au soir, le palet, la cligne-musette, le saute-mouton, les barres, le colin-maillard, la toupie et bien d autres inventions nous que nos marmots croient marquées du cachet européen. Aux hommes faits, le trictrac, les échecs, les dés, les cartes chinoises, et même le cerf-volant, réservé chez nous à l’enfance. Le joueur apportera à ces combinaisons de l’adresse ou du hasard un entrain si passionné qu’il exposera en enjeu ou en pari tout son avoir, et qu’ayant tout perdu il jouera jusqu’à son langouti, ce pauvre caleçon, seul voile de sa nudité !

La passion des Siamois pour les combats de coqs est encore plus forte ; aussi, malgré les défenses du roi et l’amende décrétée contre les délinquants, ces combats se renouvellent journellement. Dès qu’un spectacle de ce genre est annoncé, la foule y court et prend part aux paris avec tant d’empressement qu’il en résulte toujours des disputes et des rixes entre les spectateurs ; de sorte que la lutte qui a commencé par des coups de bec et