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IV

Le second roi. — Hiérarchie et corruption des grands. — Femmes et amazones du roi.

Comme si ce n’était pas assez pour leur malheureux pays d’avoir à entretenir et à supporter un roi, une cour et un sérail royal aux innombrables rejetons, les Siamois possèdent la doublure de ces institutions. Derrière le premier roi, il y en a un second, qui, lui aussi, a son palais, ses mandarins, son armée. Ou lui rend les honneurs souverains, et cependant il ne remplit qu’une charge purement honorifique. Il n’est que le premier sujet du véritable roi de Siam. La seule prérogative réelle à laquelle sa haute position lui donne droit est de s’asseoir dans un fauteuil au lieu de s’accroupir devant son collègue, dont il est comme l’ombre. Il a bien le droit de puiser dans le trésor royal chaque fois qu’il en a besoin, mais sa demande doit cependant être préalablement revêtue du visa du premier roi, qui se garde bien de le refuser jamais. On a prétendu que cet alter ego du monarque commandait ordinairement les armées siamoises, mais c’est une allégation erronée, car dans les dernières guerres contre les Laotiens et les Annamites, les guerriers de Siam eurent d’abord pour chef un frère cadet du roi, revêtu des fonctions krom-luang, et, après lui, un général indigène dont le nom m’est inconnu. C’est cette même erreur qui a donné naissance au bruit généralement répandu en France qu’il y a deux rois à Siam, celui de la paix et celui de la guerre. Le droit de faire la guerre ou de conclure la paix appartient au premier roi seulement. Les deux collègues couronnés sont en ce moment frères consanguins, mais la médisance prétend que leur position difficile a considérablement refroidi entre eux l’affection fraternelle. En effet, le second roi ne se rend chez le premier que dans les occasions où il lui est impossible de faire autrement. Et comme il est l’héritier désigné du trône, il ne prend peut-être pas aussi grand intérêt à la santé de son frère que l’exigeraient les liens du sang. Tout ce que je sais du second roi, c’est que, non moins instruit que son frère, parlant admirablement l’anglais et le français, aimant l’Europe et sa civilisation, il possède à un bien plus haut degré que son aîné le sens pratique des choses, l’esprit d’organisation et les facultés administratives, et que, sentant fort bien sa supériorité sur ce point, plus que personne il gémit de la mauvaise direction des affaires. En définitive, cultivant les arts, les lettres, aimant les chevaux, et en élevant de fort beaux, il a les goûts et l’existence d’un grand et riche seigneur européen.

Femmes du roi de Siam dans leur intérieur. — Dessin de H. Rousseau d’après une photographie.

Entre les deux rois et le peuple, s’étagent douze ordres différents de princes, ni plus ni moins, plusieurs classes de ministres, cinq ou six de mandarins, puis