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liberté pour cause de dettes, et dont les services acquis à leurs créanciers sont supposés payer les intérêts de la somme due ; 3o enfin les esclaves non susceptibles de rachat. Cette dernière classe, le caput mortuum de la misère, est entièrement recrutée d’enfants vendus par leurs parents à la suite de procès, de gêne ou de famine, et qu’un contrat écrit met corps et âme à la disposition de l’acquéreur.

Nous trouvons dans Pallegoix (t. I, p. 234) un spécimen d’un contrat de ce genre ; le voici : « Le mercredi, sixième du mois, vingt-cinquième jour de la lune de l’ère 1211, moi, le mari, accompagné de Mme Kol, l’épouse, nous amenons notre fille Ma pour la vendre à M. Luang-si, moyenna ut quatre-vingts ticaus (deux cent quarante francs), pour qu’il la prenne à son service en place des intérêts. Si notre fille Ma vient à s’enfuir, que son maître me prenne et exige que je lui trouve et ramène la jeune Ma, moi, sieur Mi, j’ai apposé ma signature comme marque. »

Qui donc a prétendu que la lecture d’un acte de vente était monotone et sans intérêt ?

Après le droit pour les parents de disposer commercialement de leurs enfants, vient pour le chef de famille celui de disposer pareillement de sa moitié. S’il l’a achetée, ce qui est le cas général dans les basses classes, la chose ne souffre pas la plus petite difficulté, il peut la revendre quand il lui plaît. Mais il ne peut agir si lestement à l’égard de celle qui lui a apporté une dot ; il ne lui est loisible de vendre celle-ci qu’autant qu’ayant lui-même contracté des dettes du consentement de sa compagne, elle a répondu de l’engagement sur sa liberté.

Les gardiens de la porte de la salle d’audience, statues en granit (voy. p. 231). — Dessin de H. Clerget d’après une photographie.

À part ces transactions plus ou moins dramatiques et fréquentes, la plus grande union semble régner sous le toit conjugal siamois. La femme, presque toujours bien traitée par son époux, conserve un ascendant non contesté autour du foyer domestique, elle y est honorée et jouit d’une grande liberté ; loin d’être reléguée dans l’intérieur, comme en Chine, elle se montre en public, va au marché, rend et reçoit des visites, étale à la promenade, en ville, à la campagne, dans les pagodes, les toilettes de luxe, les bijoux dont la surchargent la vanité et l’affection de son mari, et fait bien rarement repentir celui-ci de l’aveugle confiance qu’il lui accorde.

Ainsi voilà de pauvres créatures qui possèdent à un haut degré l’esprit de famille ; voilà des parents qui aiment tendrement leurs petits, qui tremblent et gémissent en les voyant souffrir et pleurer, et qui s’en défont, comme d’une denrée vulgaire, avec un merveilleux sang froid, à la première incitation du besoin ! Voilà des époux modèles, vivant dans le calme de l’union la plus exemplaire, et sur lesquels surtout plane incessamment la pensée qu’à un moment donné le mari pourra liquider