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Depuis le prince jusqu’au mendiant, tout le monde mâche le bétel à Siam : c’est un des besoins de la vie. Aussi, les Chinois établis dans ce royaume cultivent-ils avec soin le bétel et le vendent-ils avantageusement. Ces Chinois émigrés sont d’habiles cultivateurs, des commerçants intelligents, ils parlent le siamois comme s’ils étaient nés à Siam, mâchent le bétel comme les indigènes ; comme eux, ils rampent devant les mandarins et le roi ; mais, en revanche, ils font fortune, et avec l’argent viennent les honneurs.

Une des grandes qualités du peuple siamois est l’esprit de famille. Chez l’esclave, comme chez le seigneur, vous verrez donner les mêmes soins et les mêmes caresses aux enfants. Qu’il arrive un malheur à un membre de la famille, frère, cousin, etc., tous les parents à l’envi viendront s’unir, se cotiser, pour prévenir l’accident, s’il en est temps encore, ou pour l’alléger, dans le cas contraire. Il m’est arrivé vingt fois d’entrer dans une case d’esclaves, ou dans le palais du premier ministre, de prendre un enfant sur mes genoux et de le caresser ; aussitôt je voyais la joie se peindre sur le visage du père et de la mère ; tous deux me remerciaient avec effusion : Kopliai, kopliai, merci, merci, me répétaient-ils, et, une autre fois, si je passais devant leur demeure, « Viens donc chez nous, étranger, » me criait la mère. Ces petits détails indiquent clairement, il me semble, que ce peuple a du cœur ; et si, un jour, il s’éclaire et se civilise à notre contact, il retrouvera, j’en ai la conviction, ses autres facultés intellectuelles, qui ne sont qu’endormies.

Portail de la salle d’audience au palais royal de Siam. — Dessin de Thérond d’après une photographie.

Enfants du berceau jusqu’à la tombe, les Siamois adorent les bijoux, n’importent lesquels, vrais ou faux, pourvu qu’ils brillent ; ils couvrent leurs femmes et leurs enfants d’anneaux, de bracelets, d’amulettes et de plaques d’or ou d’argent ; aux bras, aux jambes, au cou, aux oreilles, sur le torse, sur les épaules, partout où il peut en tenir, on est sûr d’en trouver. J’ai vu un charmant enfant de six à huit ans, fils du roi, si chargé de ces objets, de clinquant et de broderies en pierres fines, qu’il ne pouvait bouger, le poids de ses vêtements et de ses bijoux l’emportant de beaucoup sur celui de son pauvre petit corps. (Voy. p. 226.)

Ne devant cacher ni le bien ni le mal, là où nous les trouvons existants, séparément ou réunis, nous répéterons qu’un tiers au moins de cette population vit dans l’esclavage. C’est donc un total de quinze à dix-huit cent mille créatures humaines passées à l’état de marchandises. Elles forment trois catégories : 1o les prisonniers de guerre, captifs distribués aux nobles selon le caprice du roi, et dont la rançon peut aller en moyenne à quarante-huit ticaux (à peu près cent cinquante francs) ; 2o les esclaves rachetables, ou individus privés de leur