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du Cambodge ; ils ont navigué sur le grand fleuve Mékong, l’artère de la grande vallée orientale de l’Indo-Chine, et ont signalé à la géographie le vaste lac Touli-Sap et les ruines antiques qui dorment sur ses bords. L’honneur de relier ensemble toutes ces découvertes, de décrire, de dessiner ces ruines, de traverser la chaîne qui sépare les deux bassins du Ménam et du Mékong, et de remonter ce dernier fleuve jusqu’aux frontières de la Chine était réservé à un de nos compatriotes, M. Mouhot, choisi pour cette mission par les sociétés scientifiques de Londres. Il a payé cet honneur de sa vie, et nous remplissons tout à la fois un devoir envers sa mémoire et un vœu de sa famille en offrant à nos lecteurs la primeur du journal de voyage et du portefeuille vraiment artistique de ce jeune et regrettable savant[1].


I

La traversée. — Premier coup d’œil sur le royaume de Siam et sur Bangkok la capitale.

Le 27 avril 1858, je m’embarquai à Londres sur le Kusrovie, navire à voiles de très-modeste apparence, pour mettre à exécution un projet que je mûrissais depuis quelque temps, celui d’explorer le royaume de Siam, le Cambodge, Laos et les tribus qui occupent le bassin du grand fleuve Mékong. J’épargne au lecteur les détails du voyage et de la vie à bord ; je me borne à dire que l’encombrement du bâtiment et la conduite du capitaine, dont la sobriété laissait beaucoup à désirer, me firent traverser une série de jours assez difficiles. Enfin, j’arrivai à Singapoure le 3 septembre. Je n’y fis qu’une courte halte pour m’orienter sur les pays que j’allais visiter. Le 12 du même mois, après une traversée bien monotone dans le large golfe qui sépare l’Indo-Chine en deux péninsules, nous arrivâmes à la barre de Siam. Le Ménam, fleuve qui traverse la ville de Bangkok, est obstrué à son embouchure par un vaste banc de sable qui barre le passage aux navires d’un fort tonnage, et c’est à huit ou neuf milles, dans le golfe et avec des frais assez considérables, qu’ils doivent opérer une partie de leur déchargement, s’ils veulent remonter jusqu’à la capitale. Le nôtre ne tirant que douze pieds d’eau, passa sans grandes difficultés et vint jeter l’ancre à Pakuam, en face de la demeure du gouverneur chez lequel le capitaine et moi nous nous rendîmes aussitôt, afin d’obtenir la permission de poursuivre notre route.

La barre du Ménam, vue prise du pont du Kusrovie. — Dessin de Sabatier d’après M. Mouhot.

Cette formalité remplie, je m’empressai de visiter les forts, le marché et quelques rues de la ville. Les premiers sont construits en briques et crénelés. Paknam est le Sébastopol ou le Cronstadt du roi de Siam ; cependant je crois qu’une escadre européenne s’en rendrait facilement maîtresse, et que son chef, après y avoir déjeuné, pourrait le même jour aller dîner à Bangkok.

Sucrerie de Paklat sur le bras du Ménam qui conduit à Bangkok (voy. p. 222). — Dessin de Sabatier d’après M. Mouhot.

Sur un petit îlot, au milieu de la rivière, s’élève une pagode fameuse et d’un travail remarquable ; elle con-

  1. L’édition anglaise, que prépare à Londres l’éditeur John Murray, pour la fin de cette année, formera un volume grand in-8 illustré avec les gravures mêmes de notre recueil.