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aboutissait, mais et une muraille de glaces qui le barrait complétement. La brise tomba. Les deux navires se séparèrent, cherchant chacun de son côté à regagner le détroit. Les canots prirent la remorque de l’Iermak, et tout son équipage resta aux avirons une partie de la journée. À une heure, voyant que les détours sinueux entre les glaces empêchaient la goëlette d’avancer, elle s’amarra sur une montagne de glace qui paraissait immobile. Pendant ce temps, l’Embrio, poussant avec ses gaffes et traîné par ses hommes débarqués sur les glaces plates, avait notablement gagné.

La glace sur laquelle l’Iermak était amarré n’était pas touchée comme on l’avait pensé : elle s’en allait avec les autres dans la mer de Kara. On trouva soixante-dix brasses de profondeur, fond de vase molle ; l’inclinaison de la ligne de sonde indiquait que l’on était entraîné vers le nord-est. La journée était magnifique, le temps clair et doux, le thermomètre marquait plus de quatre degrés Réaumur. Une forte réfraction élevait les montagnes de glace à des hauteurs fabuleuses et leur donnait les aspects les plus fantastiques : châteaux et forteresses avec donjons et clochers, immenses palais d’albâtre surmontés de coupoles et de minarets. Les glaces commencèrent à emprisonner la goëlette, il fallut l’entourer de pièces de bois pour la défendre ; une petite clairière restait encore par le travers où la chaloupe était à flot ; elle se ferma bientôt et l’embarcation fut mise à sec : la goëlette était complètement prise.

L’Iermak échoué sur la glace.

Il y avait de grandes flaques d’eau souvent profondes sur les glaces qui l’entouraient, elles furent utilisées par l’équipage : dans l’une on allait laver le linge, dans l’autre les matelots faisaient leurs ablutions du matin, une troisième fournissait l’eau pour la cuisine.

Le calme continuait ; le matin on aperçut pour la dernière fois l’Embrio pris aussi dans les glaces deux ou trois milles plus à terre. Toutefois ce bâtiment réussit à se dégager et rentra à Kouia le 13 septembre. Son capitaine, le courageux Korotki, raconta qu’après avoir été enveloppé pendant trois jours par la brume, il ne revit plus la goëlette. Plusieurs fois enclavé dans la banquise, il réussit toujours à s’en dégager et gagna le détroit de Vaigatz où il attendit pendant deux semaines le retour de son commandant ; n’apercevant rien, il expédia sur des traîneaux plusieurs hommes de son équipage, qui parcoururent la côte jusqu’à la rivière de Kara sans recueillir aucun renseignement. Son navire était gravement avarié, il ne lui restait que pour deux mois de vivres. Après avoir signalé aux Sarnoyèdes de la côte la présence de l’Iermak dans les glaces de la mer de Kara et leur avoir fait promettre de lui porter tous les secours en leur pouvoir, il se décida à retourner à Kouia.

Mais revenons à la goëlette immobile au milieu de la banquise. Elle ne l’était que par rapport aux glaces qui l’environnaient, car la sonde, par la direction de la ligne et la profondeur qui augmentait sans cesse, indiquait parfaitement qu’elle était emportée avec une assez grande vitesse vers le nord-est. Le 17, on trouva cent vingt-six brasses ; le plomb rapporta une vase bleue molle ; la température était assez douce, le thermomètre marquait plus de trois degrés Réaumur.

Les côtes de l’île Vaigatz et de la grande terre diminuaient dans l’ouest ; partout ailleurs, l’horizon ne présentait que glaces sous tous les aspects.

Jusqu’au 19, brume complète, on ne voyait pas cinquante pas autour du navire. Une petite brise s’éleva du sud-sud-ouest. Le capitaine fit mettre toutes voiles au vent pour voir si la glace ne céderait pas sous un effort continu et n’ouvrirait à l’avant de la goëlette quelque passage qui lui permît de lutter encore pour sortir de sa prison : ni la glace ni le navire ne bougèrent.

Le 20, le navire se dégagea un peu. On vit la grande terre dans le sud-est, à environ quinze milles. La sonde