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donnent au petit désert dans leurs plaisanteries. Nos tonnelets ne devaient plus nous servir, non plus que nos peaux de bouc.

Nos savants et nos artistes partirent le 12 avril pour Birizina, avec Si-Bou-Beker, qui tenait à leur montrer son pays et leur faire les honneurs de sa maison, pendant que les spahis et les prisonniers rentraient à Géryville par la route de la rivière du Sel, et y arrivaient le 15, après cinquante jours d’absence.

V. Colomieu.


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EXCURSION AUX ENVIRONS DE GONDOKORO,


PAR M. GUILLAUME LEJEAN[1].
1862. — TEXTE INÉDIT.


N’ayant rien à faire à Gondokoro, je voulus pousser plus loin et aller au Redjef. Il fallut y renoncer : mes hommes avaient peur, les eaux étaient basses, et je ne pouvais aller seul en avant avec mon drogman, qui montra d’ailleurs beaucoup de zèle et de résolution. La lâcheté de mes Barbarins était telle que j’eus toutes les peines du monde à obtenir qu’ils me suivissent à cinq heures de là, à Belegnân, que je tenais beaucoup à étudier. Je parvins à enrôler une demi-douzaine de nègres pour porter les vivres et quelques objets de campement, et le 27 février, à la tombée du jour, nous nous mîmes en marche sur Belegnân, tous armés jusqu’aux dents, sauf moi qui avais à peine la force de me tenir à baudet ; j’avais passé ma carabine à Hessein, qui la portait en bandoulière, fier de son lourd fardeau. C’était par parenthèse une fort belle arme qui provenait de la vente de feu Malzac, arme encore vierge d’homicide, car elle ne portait pas la marque significative du terrible aventurier. Il faut savoir que quand M. de Malzac avait tué un nègre, il faisait un cran sur la crosse de sa carabine, et ses armes favorites étaient toutes rayées de ces sinistres chevrons dont il tirait une vanité assez bizarre.

Le pays que je traversai en quittant le fleuve me frappa tout d’abord par un aspect de prospérité que je n’avais pas encore vu jusque-là. C’était une plaine nue, avec quelques tamariniers montrant leur grosse tête feuillée parmi des villages en terre, proprement bâtis, entourés de haies vives d’euphorbes : l’ensemble était monotone, mais doux à la vue, comme certaines parties de la Beauce ou de la Picardie. La terre, composée en quelques endroits d’une argile noirâtre fendillée par la sécheresse dans les endroits où les eaux avaient séjourné, était partout légère et sablonneuse ; c’était une couche de détritus granitique recouverte d’une végétation rase qui devait former au kharif les plus belles pelouses du monde. Deux petites mares ou foulas offraient au voyageur une eau assez bourbeuse : un sentier facile à suivre, même sans guide, traversait la plaine et se dirigeait au S. S. E. vers les montagnes. Je remarquai dans ce sentier, à une lieue environ de Godokoro, un tronçon d’arme fiché en terre, et qui me parut marquer la limite des cultures ou des pâturages d’un village.

À la nuit tombante, nous traversâmes quelques lits desséchés de torrents analogues aux khar de Nubie : et vers la quatrième heure, nous descendîmes dans un ravin assez profond, aux berges coupées à pic, où nos hommes trouvèrent un filet d’eau courante dont ils si abreuvèrent avec délices. C’est une surprise à laquelle les basses terres sablonneuses du Soudan n’habituent guère le voyageur. On appelle ce ruisseau Naboulon. Une demi-heure plus tard, nous nous arrêtions à Belegnân, vraie prononciation du nom que les premiers voyageurs ont écrit Belenia. Je m’attendais à voir un gros village assez compacte, comme j’en avais vu quelques-uns chez les Bary : je ne vis qu’une plaine semée de nombreux groupes d’habitations, à peu près comme les habitations rurales de la Bretagne ou du Perche. Rien qui indiquât une demeure de chef ; mais quelques unes de ces espèces de fermes indiquaient, par une apparence plus belle que le commun des cases, l’habitation des riches et des notables. Après une courte négociation, nous entrâmes dans un de ces enclos et nous bivaquâmes au milieu, sur la terre, préalablement balayée avec soin. Le lendemain matin, j’eus le loisir de mieux étudier la bourgade que j’étais venu visiter. Je fis d’abord une observation tout à l’avantage des noirs : c’est qu’ils entendent bien mieux que les Arabes et les Nubiens la propreté et le confortable de leurs logis. Celui que j’occupais se composait d’un grand toukoul à toit conique pour les hommes, d’un autre pour les femmes, d’une étable à bétail et d’un magasin à grains juché sur quatre pilotis et recouvert d’un abri : construction fort bien entendue que je ne puis mieux comparer qu’aux blockhaus qui servent, en Turquie, d’observatoire aux gendarmes ou d’affûts pour la pêche. Ces quatre cases entouraient une petite cour bien balayée, et pavée, chose curieuse, de cailloux ou de coquilles formant d’une porte à l’autre de curieuses arabesques qui témoignaient de la fantaisie et de la patience des artistes noirs. Ces impressions favorables furent du reste de courte durée. Pendant que Hessein préparait le café dans une vieille bourme cassée, les gens du village nous entourèrent avec une curiosité bruyante dont j’eus bientôt le mot. Nos verroteries excitaient la cupidité des indigènes, et on commença par nous réclamer un prix exorbitant pour la petite cour ou nous avions bivaqué ; puis vinrent

  1. Voy. tome V, page 397.