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cette apparition ; toutes les fatigues étaient oubliées. Les gens de la ville et des jardins, bannières en tête et le fusil à la main, nous attendaient pour nous faire fête. Une première décharge de leurs armes fut le signal de bienvenue ; les tambours et les flûtes se firent aussitôt entendre. Nos cavaliers ripostèrent en masse au salut. On se rejoignit bientôt, et les premiers moments de la rencontre furent un tohu-bohu inexprimable. Les groupes d’hommes à pied organisés pour la fantasia venaient, en courant et poussant de grands cris, tirer entre les jambes de nos chevaux ; les flûtes et tambourins s’escrimaient de leur mieux ; les cavaliers passaient comme des éclairs, en déchargeant leurs armes ; les vieux amis s’embrassaient ; nos jeunes peintres s’extasiaient : chacun avait son rôle. Après ces premières expansions, l’ordre se fit un peu. Nous n’étions qu’à la tête de la forêt de dattiers, et nous comptions camper sous la ville même. Des dispositions furent prises pour que les grands bassins d’arrosage des jardins situés sur la route fussent remplis d’eau, afin d’abreuver les chameaux de la caravane à leur passage, remplir les tonnelets, etc. ; et, après un repas d’une heure, nous nous enfoncions dans un des plus jolis chemins qu’on puisse rêver au milieu des palmiers, pour arriver à notre bivac sous l’oasis. Des groupes de femmes et d’enfants, perchés sur les murs d’enceinte des jardins, nous accueillaient par des you-you frénétiques ; nos cavaliers faisaient les beaux, les uns cabrant leurs chevaux, les autres chantant à tue-tête ; les fantassins de l’oasis nous accompagnaient, tirant de temps à autre des coups de feu, et tout cela sous une voûte de palmes, au milieu de pêchers, d’abricotiers, de grenadiers en fleur, dans un air délicieusement embaumé, et enfin à l’ombre, après de si longues journées sous un soleil de plomb.

Une des entrées de Metlili. — Dessin de M. de Lajolais.

Pendant que notre camp s’installait, nous parcourûmes l’oasis et ses environs. Metlili offre au premier abord un aspect étrange, comme un contraste avec ce qu’on attendait. Son nom doux et mignon nous faisait rêver à une coquette petite cité blanche et parée, et nous ne trouvions qu’un petit amas de maisons parsemées de ruines et se pressant sur un petit mamelon, autour d’une mosquée mal entretenue, placée au sommet. Toutefois, nous ne tardâmes guère à revenir de notre impression première. Une fois habitués à ces maisons de ange et de pierres, l’emplacement de la cité nous parut très-heureux. Le petit piton sur lequel s’élève l’oasis est pittoresquement situé au centre d’un carrefour de vallées. En amont comme en aval, ces vallées sont couvertes de jardins, et du minaret l’œil peut contempler leur riante verdure. Deux cours d’eau, que les pluies font couler une ou deux fois l’an, se réunissent au pied de la petite cité. Ces ruisseaux sont la richesse de l’oasis. Les jardins sont disposés de telle manière que, lors d’une crue, toutes les eaux sont réparties aux pieds des dattiers. Les jours d’orage sont des jours de fête. L’arrivée des eaux est signalée par des hommes à cheval : chacun se hâte d’aller revoir les barrages et les trous qui laissent pénétrer l’eau dans les jardins. Quand les premiers bouillonnements du torrent se montrent, des coups de feu retentissent ; les femmes et enfants poussent des you-you de joie. Un orage, à Metlili, c’est le repos pour quinze jours, c’est la récolte assurée ; malheureusement ils sont fort rares, et, quand Dieu ne se charge pas de l’arrosage, il faut y suppléer. L’irrigation des jardins, à Metlili, est un labeur très-ardu et presque continuel. Le système employé mérite une description ; il donnera une idée des fatigues journalières de la population de l’oasis, et fera comprendre l’intérêt qu’elle attache à une irrigation par les eaux pluviales.

Une rue de Metlili. — Dessin de M. de Lajolais.

Il n’existe à Metlili qu’une nappe souterraine, à une profondeur qui varie entre quinze et vingt mètres. Chaque jardin possède son puits et un grand bassin servant à l’arrosage. Il est indispensable d’arroser les palmiers au moins tous les deux ou trois jours ; il en est de même des arbres fruitiers. Quant aux légumes et aux céréales, ils sont cultivés en planches et irrigués deux fois par jour. Le remplissage des bassins d’irrigation de chaque jardin nécessite un travail presque continu.

Nuit et jour, on entend grincer les poulies des puits : hommes, femmes, enfants, bêtes de somme, tout est employé à tirer l’eau ; les relais sont organisés pour éviter le chômage. L’appareil de traction et le récipient à puiser l’eau sont d’une simplicité primitive, mais d’un emploi très-facile et très-ingénieux. Le récipient est un grand vase en peau de bouc, qui se termine à la partie inférieure par un long col ouvert, lui