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contre Ouargla. Il caressait cette idée et nous en entretenait souvent. Quelques jours de fièvre ont suffi pour anéantir tous ces projets, en nous enlevant un des hommes les plus brillants de l’aristocratie indigène et des plus dévoués à nos vues humanitaires et commerciales.

Le 2 mars, veille de notre départ, nous eûmes, le spectacle d’un de ces épisodes annuels qui tiennent à une recommandation du Koran : c’est la recherche de la nouvelle lune. Nous étions à la fin du mois qui précède celui du Rhamadan. On sait que les musulmans comptent par années lunaires dans toutes les prescriptions religieuses. Faute d’astronomes pour fixer en tous pays les jours exacts des nouvelles lunes, le législateur musulman fait commencer les mois du moment ou la nouvelle lune apparaît, et charge ses fidèles de cette recherche pour le mois de Rhamadan. Aussi, dès que l’apparition devient possible, c’est-à-dire des que l’astre est dans la période que l’on nomme lune perdue, les vrais croyants attendent le coucher du soleil pour se mettre en observation. Le premier qui aperçoit le croissant dans le reflet crépusculaire est tout aussitôt assailli par les autres qui demandent à vérifier la grande nouvelle. Bientôt l’image devient plus distincte, des coups de feu sont tirés, le mois est commencé ; dès le lendemain le terrible jeûne sera observé.

Autrefois les pachas envoyaient à l’avance des cavaliers dans toutes les directions, et surtout dans le sud, à l’approche du Rhamadan, de crainte qu’au jour voulu des nuages n’obscurcissent l’atmosphère. L’affirmation sous serment de deux croyants qui avaient vu et bien vu l’astre signal suffisait pour que le canon annonçât à tous l’ordre de jeûner dès le lendemain.

À Tadjerouna, dès le coucher du soleil, des groupes de chercheurs de lune se formèrent sur les terrasses du ksar et sur le devant des tentes de notre camp. Nous nous mîmes de la partie avec nos lunettes. Une grosse demi-heure se passa ainsi, personne ne voyait rien, quand tout à coup on entendit crier : la voilà ! et tous aussitôt d’accourir. L’œil de lynx qui avait le premier aperçu le petit trait blanchâtre du croissant ne put réussir à convaincre les autres qu’en prenant un fusil et indiquant par la visée le point où il distinguait l’astre ; bientôt après il n’y avait plus de doute pour personne, et le jeûne était décrété pour le lendemain.

Départ du ksar de Tadjerouna. — Dessin de M. Alfred Couverchel.

La nuit se passa en fêtes et en préparatifs de départ. Les chameaux, blessés et fatigués par nos quatre premières journées de marche, furent confiés aux habitants du ksar. Nos provisions d’eau furent faites, chameaux et moutons furent bien abreuvés, et des éclaireurs furent envoyés dans la nuit pour aller en avant se renseigner auprès des bergers ou des voyageurs de l’état des pâturages sur les divers points à proximité de notre direc-