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puissamment contribué à capturer le chérif. Un maghzen soldé fut mis à la disposition du nouvel agha. Un service de correspondance par meharis, organisé entre Ouargla et Géryville, etc. Enfin, le commandant supérieur du cercle de Géryville reçut l’ordre d’aller, à la tête de quelques forces, assurer le fonctionnement du nouvel ordre de choses, installer l’agha, prélever l’impôt, s’assurer des hommes de désordre, et faire connaître à chacun ses devoirs et les limites de ses droits.

C’est l’itinéraire suivi par la petite colonne du commandant supérieur de Géryville que nous avons en vue de faire connaître.


II

Les poëtes ont souvent comparé le désert à l’océan et les caravanes aux flottes qui le traversent. À cette comparaison pleine de justesse, il faudrait ajouter que l’océan est connu, ses écueils sont signalés, les atterrissements décrits et éclairés de phares, tandis que la carte du désert n’existe pas, que les récifs y sont nombreux, que les pirates le sillonnent en tous sens. Une carte du désert existerait-elle, que quel que fût le soin apporté à l’établir, elle serait insuffisante à guider le voyageur d’une manière efficace. Il est indispensable d’avoir des guides, non-seulement connaissant admirablement le pays, mais ayant leurs points de repère à eux. Pour faire comprendre cette nécessité, nous citerons une petite anecdote qui nous est personnelle.

En 1860, nous étions au milieu des sables qui séparent les possessions africaines du Touat. Ce jour-là, la marche était pénible à cause de la mobilité extrême des sables,

la chaleur était accablante. Il y avait six jours que nous avions quitté les dernières eaux et que nous buvions celle de nos outres. Nous devions coucher le soir sur un puits réputé excellent et abondant. Vers quatre heures de l’après-midi, les guides de la caravane nous signalèrent dans le lointain une haute dune derrière laquelle se trouvait un petit plateau : au centre du plateau était le puits tant désiré. Devançant la caravane avec quelques cavaliers, nous arrivâmes sur le plateau indiqué une grande heure avant les guides. Tout aussitôt nous mîmes pied à terre, espérant boire. Malheureusement, aucun des Arabes qui nous accompagnaient ne connaissait la position du puits ; nous eûmes beau chercher, gratter, flairer le sol, rien, et toujours rien ; nous attendîmes, et quand nos guides arrivèrent, ils ne purent se défendre d’un accès d’hilarité : nous étions assis sur l’ouverture même qu’une couche de sable masquait.

Une traversée dans le Sahara exige, au départ, une foule de minutieuses précautions. Tout oubli devient irréparable. Nous croyons qu’il y aura un certain intérêt à donner ici quelques détails sur les préparatifs de notre voyage et sur l’organisation de notre colonne. Cela donnera une idée de la puissance des moyens à mettre en œuvre pour rendre possible un trajet pareil, moyens qui doivent être en rapport avec les difficultés à surmonter, et dont se préoccupent généralement fort peu les hommes qui journellement écrivent sur les relations à établir avec l’Afrique centrale, sur l’envoi d’expéditions ou de caravanes au Soudan, sur l’organisation d’une correspondance terrestre avec le Sénégal et autres questions analogues.

L’état-major de notre petite expédition comprenait :

Le commandant supérieur du cercle de Géryville, commandant V. Colomieu ;

Un officier des affaires arabes de Géryville, M. Villot ;

Deux officiers de spahis, l’un Français, M. de la Valette, l’autre indigène ;

L’ingénieur en chef des mines de la province, M. Rocard, chargé d’études relatives aux nappes d’eau souterraines ou autres ;

Le garde-mines d’Oran, M. Pomel, qui est en même temps un botaniste et un paléontologue distingué ;

Un jeune peintre d’histoire, M Couverchel, chargé par le gouvernement de faire un tableau de la prise du chérif Mohamed-Ben-Abdallah ;

M. Louvier de Lajolais, venu en touriste ;

Si-Seliman, frère de Si-Bou-Beker. — Dessin de M. de Lajolais.

Le Bach-Agha Si-Bou-Beker et son frère Si-Seliman.

La troupe régulière se composait d’un peloton de trente spahis du bureau arabe, deux ordonnances et un cuisinier. À ce personnel, il faut joindre deux domestiques indigènes.

La troupe irrégulière se composait d’un goum de cent chevaux y compris la suite du Bach-Agha.

Hommes et chevaux durent se munir de vivres pour deux mois. Quatre chameaux furent affectés à chaque cavalier pour emporter les provisions et l’eau nécessaire à sa personne et à sa monture ; il fut prescrit qu’on emporterait six peaux de bouc par cheval et deux par homme.

En outre, cent chameaux furent affectés au transport d’un matériel de réserve comprenant cent dix barils de cinquante litres, deux cents peaux de bouc de vingt litres, six caisses de cartouches, trente outils du génie, huit atatichs ou palanquins destinés aux malades ou blessés (voy. p. 177), une caisse de médicaments, six rouleaux de cordes à puits. Cette réserve fut placée sous une garde spéciale et à la disposition unique du commandant.

Un troupeau de moutons et un autre de cent chameaux haut-le-pied, destinés aux rechanges, marchait avec cette réserve. Les conducteurs des chameaux étaient au nombre d’environ un chamelier par trois animaux. Chacun d’eux emportait, outre ses vivres et ses deux peaux de bouc qu’il mettait en surcharge sur le convoi, une faucille, une corde à fourrages, une