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Fort et place de Géryville. — Dessin de M. de Lajolais.


VOYAGE DANS LE SAHARA ALGÉRIEN,

DE GÉRYVILLE À OUARGLA,


PAR M. LE COMMANDANT V. COLOMIEU.
1862. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS[1].


I

Ouargla, la sultane des oasis, surnommée l’Oasis aux Sultans, était autrefois la capitale prétentieuse d’un royaume microscopique. Perdue dans l’immensité du Sahara, au milieu de sables, comme un îlot de verdure dans un océan de feu, défendue par une enceinte en pisé que protégeait un fossé bien entretenu, la fière cité se targuait de son isolement et de ses murailles pour jouer à la royauté. Les prétendants au trône ne manquaient pas ; les parvenus se succédaient rapidement. Leur règne éphémère commençait presque toujours par une lutte fratricide, pour finir par un assassinat. Un peu de bruit, du sang, et enfin la tombe, tous les règnes se ressemblaient.

Lorsque le vent du sud apportait jusqu’au littoral méditerranéen un écho d’Ouargla, on écoutait avec anxiété, presque avec charme. N’était-ce pas la ville du lointain, de l’inconnu ? À côté des sombres récits, on croyait entendre le murmure des palmiers poussé par la brise du désert. On voyait, à travers le mirage, la cité mystérieuse entourée de sa ceinture de jardins et de dattiers, ornée de son diadème de reine des oasis, luxuriante de verdure et de fraîcheur. Les quelques taches de sang jetées sur sa robe verte étaient comme des lambeaux de pourpre qui seyaient bien à la ville aux Sultans. Les hardis caravanistes qui en revenaient, conduisant de longues files de chameaux chargés de dattes, et poussant pêle-mêle des troupeaux de négresses et négrillons, ne manquaient pas d’en raconter une foule de merveilles. Le teint fortement bazané, des guêtres de laine aux jambes, le burnous jauni par les sables, le fusil en bandoulière, ces voyageurs du désert avaient un aspect qui prêtait à leur narration quelque chose de fantastique et d’attrayant à la fois. Tantôt ils racontaient un combat sanglant de quartier à quartier, tantôt le massacre des Mozabites, tantôt une bataille entre Ouargla et N’goussa ; d’autres fois ils vous menaient à travers les fouillis de la forêt de palmiers, dans les sentiers ombragés et sinueux qui conduisent aux portes de la casbah royale, vous montraient épars, dans ces labyrinthes de chemins qui s’entre-croisent, ces kobbas aux dômes blanchis, pieux monuments élevés à la mémoire des marabouts vénérés, sur lesquels viennent s’ébattre des nuées de palombes et de tourterelles ; ou bien encore ils vous faisaient entendre les chants de la nuit dans les jardins, aux bords des ruisseaux s’écoulant des puits artésiens. On se taisait pour

  1. Les auteurs des dessins sont MM. Alfred Couverchel et de Lajolais, qui tous deux ont fait le voyage de Géryville à Ouargla avec l’expédition (voy. p. 166).