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Alors commence cette région de vallées sans eau, de dunes sèches, de plaines stériles où l’œil cherche vainement un arbre, une plante, une tige d’herbe. Aussi loin que la vue peut s’étendre, on n’aperçoit rien que cette succession de vallées, de dunes et de plaines couvertes d’une épaisse couche de sable d’un jaune brun : une espèce de poussière de briques où les chaussures européennes enfoncent la chaque pas, de manière à rendre la marche excessivement pénible et fatigante. La solitude dans ces terres désolées est effrayante, surtout parce que leur physionomie uniforme ne donne aux voyageurs étrangers aucune indication du chemin à suivre. Privé de boussole, un piéton peut errer des semaines entières dans le désert en tournant sur lui-même et presque sans changer de place. Mais traverser cette région en suivant le cours d’une eau vive et saine qui vous conduit sûrement à destination ; contempler sans fatigue cette scène qui se déroule à mesure que l’embarcation avance et qui certes n’est pas sans grandeur, c’est pour un touriste une tentation fort naturelle. De tels tableaux suffiraient pour motiver un voyage dans l’Isthme.

Toutefois l’empire du désert n’est plus incontesté sur les bords du canal, même au delà du domaine acheté par la Compagnie. Une partie de ces terres est déjà rendue aux soins de la culture. Çà et là nous voyons se projeter la silhouette d’un homme debout sur les bords du canal. De loin on le prendrait pour une statue gigantesque, survivant dans sa masse et son immobilité à la destruction générale des villes et des monuments anciens dans la vallée de Gessen. En approchant on reconnaît un Bédouin à la haute stature, qui élève et abaisse dans le canal cette machine primitive dont les Égyptiens se servent pour l’irrigation et qu’on appelle chadouf. Des rigoles creusées dans le sable portent à distance l’eau que leur verse le chadouf. Avant peu, de nouvelles oasis seront formées dans la mer de sables, et de nouveaux progrès auront été faits dans la transformation de ce pays.

Vue prise près du lac Timsah.

Les Bédouins ont spontanément sollicité et obtenu des fermages. C’est un témoignage éclatant de l’équité qui règle tous les actes de la Compagnie. On reconnaît, en effet, dans les allures, les traits et les regards de ces hommes, une race fière et libre. C’est l’impression que nous avions éprouvée à la vue des cultivateurs disséminés sur les bords du canal, dans la partie déserte où ils se sont fixés de préférence. Ce sentiment fut confirmé par la présence d’une députation de ces cultivateurs qui vinrent, à Rhamsès, rendre hommage à M. de Lesseps. Il y avait là plusieurs hommes de la plus belle et de la plus noble figure. La dignité de leur maintien l’aisance de leurs manières, leur attitude respectueuse sans doute, mais exempte de servilité, frappa tout le monde.

Paul Merruau.

(La fin à la prochaine livraison.)