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les jours qui précédèrent notre visite, il ne fut question que de l’Arménienne.

Comment était-elle ? brune, blonde, grasse, maigre ? et surtout comment se vêtirait-il, lui Jacques, pour lui être présenté ? en Turc, en Persan, en Grec ou en simple giaour ? Il voulait plaire. Son imagination dansait, comme vous le voyez, une folle sarabande.

La veille, enfin, tout bien calculé, il décida qu’il ne changerait rien à son costume et comprimerait, comme par le passé, son cœur sous l’étroite redingote nationale. Pauvres gens que nous tous !

Le lendemain, des l’aube, Boulgaris, notre drogman que nous avons élevé pour les besoins de la cause à la dignité de bach-kiatibi, entra dans notre chambre.

Hammal ou portefaix turc. — Dessin de M. A. Proust.

Jacques était déjà levé et, étendu sur le sofa, aspirait à petites bouffées la fumée d’un long tchibouk. « Selamna-Alecum, me dit-il ; décidément, mon ami, je mettrai mon pantalon de nankin ; qu’en penses-tu, Boulgaris ?

Allah kerim (Dieu est grand !), » répondit le drogman.

Jacques s’habilla en marmottant une chanson que nous avions entendue la veille au cahvené (café) :

    Hammanum capussû ketchelû
    Itzuuden tchicar bir petchelû.

La porte du hamman (bain) est doublée de soie,
De ce hamman sort une femme voiléé.

« Il me vient une idée, fit-il en s’interrompant ; si je prenais un pantalon blanc ; Boulgaris !

— Effendi !

— Que dis-tu de cette idée ?

— Allah kerim !

— Va pour le pantalon blanc, reprit Jacques en fouillant dans sa malle… Mais, s’écria-t-il après avoir éparpillé tous les objets au milieu de la chambre, voyez où cet imbécile a mis mes vêtements de coutil ! Boulgar !