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mune voix à la préparation d’une omelette dont je surveillai la cuisson.

Quand tout fut prêt, nous nous accroupîmes autour d’une natte qui tenait lieu de table. Un chupé, composé de mouton sec et de racines, fut placé au centre, et chacun de nous, muni d’une cuiller, d’une fourchette, d’un morceau de bois affilé, manœuvra de son mieux. Comme j’étais assis entre Inès et Carmen, les aînées des fillettes, j’étais servi par elles au lieu de les servir, selon la coutume ando-péruvienne. Elles avaient soin de choisir les meilleurs morceaux et me les portaient à la bouche, tantôt avec leur fourchette, tantôt avec leurs doigts, détail qui satisfaisait à la fois ma paresse et mon appétit. Quand vint le tour de l’omelette, les bonnes filles m’en firent les honneurs avec tant de grâce et d’empressement, qu’en récapitulant le nombre de bouchées qu’elles m’avaient offertes, je vis que j’avais mangé ma portion et la leur. En guise de dessert, nous bûmes une bouteille du vin d’oranges que je tenais de la munificence de Sor Maria de los Angeles. Ce vin capiteux mit les filles de mon hôte de si belle humeur, que lorsque la bouteille fut achevée, elles me proposèrent un air de guitare et un petit bal sans façon ; j’acceptai l’air par politesse, mais refusai nettement le bal, objectant ma fatigue et le besoin de sommeil qui en était la conséquence. Elles insistèrent, mais je tins bon ; alors voyant que leurs instances étaient inutiles, elles me laissèrent la libre disposition de mon individu. Je priai Miguel de dresser ma couche dans un réduit treillissé qui se trouvait au fond de la pièce et qui jadis avait servi de poulailler ; puis quand ce fut fait, je pris congé de la famille et m’allai coucher, laissant les fillettes surexcitées par le vin d’oranges, danser entre elles, faute de cavalier.

Un souper en famille chez le gouverneur de Chaco.

Le lendemain de bonne heure, je quittai Chaco, suivi de mon guide. Nous descendîmes vers la vallée par des sentiers en zigzag et d’une pente roide. Après avoir traversé la rivière d’Alcusama, un des affluents du rio de Santa-Ana, et côtoyé la ferme de Salamanca, nous arrivâmes sur les neuf heures au village d’Echarati ; j’y fis halte un instant, pour prier l’alcade de m’adresser à l’hacienda de Bellavista, où je me rendais, les colis, bagages et paquets qui devaient m’être expédiés de Cuzco. Ces formalités remplies, je n’eus plus qu’à tourner bride et suivre la belle allée d’agaves qui conduit du village à l’hacienda en question, que j’atteignis après dix minutes de marche.

L’hacienda de Bellavista, plus communément désignée par le nom d’hacienda d’Echarati, à cause de la proximité de ce village, est une des plus renommées de la vallée de Santa-Ana. Le cacao qu’on y récolte est supérieur en qualité à celui de Pintobamba, n’en déplaise aux