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taient sous des parasols de plumes (achihuas) la personne de Tupac Yupanqui. À leur suite, venaient des musiciens (collas) jouant d’une flûte à cinq trous, et donnant le ton aux morions et aux baladins de Huamanga, qui exécutaient des danses de leur pays, se perçaient la langue avec des aiguilles, éteignaient dans leur bouche des charbons enflammés, ou simulaient entre eux des combats grotesques. Derrière cette troupe joyeuse s’avançait gravement, la tête couverte d’une draperie de laine teinte avec l’ayrampu, cette pourpre des Quechuas, le respectable corps des Amautas, savants, selon les uns, philosophes, selon les autres. Les Yaravicus ou rhapsodes fermaient la marche en chantant à haute voix les louanges du maître, que leurs vers hyperboliques appelaient Pachayachachic, c’est-à-dire vainqueur universel.

Village d’Ollantay-Tampu.

Au moment où la litière de l’Inca s’arrêtait devant les monolithes de la grande place, sur lesquels deux Amautas, assis à califourchon comme des ramoneurs sur le faîte d’une cheminée, étaient en train de calculer l’approche d’un équinoxe, un homme, caché derrière les piliers, et qui guettait apparemment l’arrivée du cortége, abandonna son poste et, s’avançant vers l’empereur, se prosterna à quelques pas de lui, la face contre terre. Cet homme était vêtu d’une tunique bleue ; il avait les cheveux coupés carrément sur le front et flottants sur les épaules. Un morceau de jonc, de la grosseur du doigt, traversait le lobe de ses oreilles. Tupac, occupé en ce moment de la préparation d’une chique de feuilles de coca, dont il retirait les nervures longitudinales avec le plus grand soin, suspendit son travail pour étendre vers l’inconnu le sceptre d’or qu’il tenait à la main. Il avait reconnu dans le suppliant son cacique Ollantay, récemment promu au grade de général, en récompense de ses bons et loyaux services.

« Relève-toi, mon fils, lui dit-il ; tu es un des fidèles qui réjouissent notre vue, et que nous aimons à voir auprès de nous. »

Ollantay se releva, fit trois pas de plus au-devant du maître, et croisa ses bras sur sa poitrine dans l’attitude d’un profond respect.

« Parle maintenant, » lui dit l’Inca.

Paul Marcoy.

(La suite à la prochaine livraison.)