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Inca en l’an de grâce 1463, nous pouvons satisfaire sa curiosité. Cette litière, formée d’un bois odorant donné par la nation chilcas à titre de tribut, avait la forme prosaïque d’une civière : quatre verges d’or de la grosseur du doigt, partant des angles du carré et se courbant comme la carcasse d’un dais, formaient un dôme auquel, selon l’état atmosphérique ou la fantaisie de l’empereur, on pouvait adapter des rideaux de coton ; un siége et un escabeau ornés de lames d’or et d’incrustations précieuses étaient cloués à demeure sur le plancher de la litière, que huit hommes vigoureux de la tribu des Lucanas portaient sur leurs épaules.

Tupac Yupanqui, assis sur ce siége et les pieds posés sur l’escabeau, était vêtu d’une tunique de laine d’alpaca, d’une blancheur de neige, rehaussée par une bordure multicolore. Ce vêtement, tissé en forme de sac, avec une ouverture pour la tête et deux ouvertures latérales pour les bras, était si court, qu’il laissait voir les genouillères d’or que portait l’empereur. La coiffure de l’Inca se composait d’une mitre d’or ornée de chaque côté d’un éperon aigu. Un feston dentelé, qui rappelait la crête dorsale d’un iguane, dessinait les contours de cette mitre, sur laquelle était gravée la figure d’Inti-Churi, le dieu Soleil. Une frange de laine d’un rouge obscur, qui tombait sur le front, s’adaptait à ce bizarre diadème, complété par deux bandelettes pendant jusqu’à l’épaule, et par des oreillères d’or qui formaient un encadrement au visage.

Forteresse en pisé (rive gauche du Huilcamayo-Urubamba.

Les pieds de Tupac Yupanqui étaient chaussés de souliers-sandales en or battu, avec un ornement de plumes rouges au-dessus des chevilles. De son épaule gauche pendait une mante rayée, tissée avec la laine des vigognes. Un cordon passé en sautoir soutenait sa chuspa ou bourse à coca[1], et le champpi, sceptre souverain, reposait dans sa main droite.

Quant au visage de l’empereur, malgré tout notre désir de satisfaire la curiosité que nous pouvons avoir éveillée, nous avouons qu’il ne nous est pas possible d’en donner une idée complète, les notes extraites des quippus, auxquelles nous empruntons nos renseignements, ne contenant que quatre mots à ce sujet. Il est vrai que ces quatre mots équivalent à quatre lignes : Sayaynin cumu cencca huarmicamayoc, ce qui signifie que notre Inca était de haute taille, d’apparence robuste, avait un long nez, et était fort adonné aux femmes, appréciation qui doit être exacte, à en juger par la postérité nombreuse qu’il laissa après lui.

Autour de sa litière se pressait une garde d’élite, composée de ces curacas ou caciques que les conquérants espagnols qualifièrent irrévérencieusement d’oreillards (orejones), sous prétexte que le lobe de leurs oreilles balayait leurs épaules. Quatre de ces dignitaires abri-

  1. Erythroxilum coca (fam. des Malpighiacées)