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étroit tapis où toutes les nuances du vert étaient prodiguées, trois villages s’élevaient au milieu de massifs de pisonays[1], de saules et de chilcas[2] ; c’étaient Urquillos et son hacienda seigneuriale, Huayllabamba et sa tour carrée, Yucay avec ses maisonnettes éparpillées sur un coteau. À la suite de ces villages, venait Urubamba, que son pont de deux arches, son église isolée au milieu d’une place et son simulacre de fontaine dénonçaient comme le chef-lieu de la province à quiconque eût ignoré qu’à son importance architecturale Urubamba joignait la qualification de Benemerita (bien méritante), et que cette qualification, donnée en 1839 par décision du congrès de Huancayo et équivalant à un titre de noblesse, élevait la bourgade au rang de métropole.

Urubamba, la cité méritante.

Autour de ces villages, situés à une demi-lieue l’un de l’autre et sur le même parallèle, se groupaient force maisonnettes dont les murailles, blanchies à la chaux et à la glu de cactus, brillaient au soleil comme si elles eussent été vernissées. Avec leurs tuiles rouges et leurs volets bleus ou verts, ces jolis cottages entourés d’arbres, d’arbrisseaux et de fleurs ressemblaient de loin à des jouets d’enfants ; tout cela, gai, pimpant, propret, se détachait en clair sur le vert sombre et velouté des serros, montant d’assise en assise comme un escalier gigantesque, jusqu’à la limite des neiges éternelles.

Je quittai mon observatoire et m’engageai dans le chemin en hélice qui conduit de la pampa d’Anta au bord de la rivière. Ce chemin, ébauché au principe par quelque commotion volcanique, fut élargi et façonné plus tard par les Fils du Soleil, qui depuis Manco jusqu’à Huayna Capac, c’est-à-dire pendant une période de près de cinq siècles, avaient fait de la vallée qui s’étend entre Caycay et Silcay un lieu de plaisance où ils venaient passer les beaux jours de l’année. Pour ces infatigables pionniers qui traçaient une route de cinq cents lieues à travers les Andes, ou perçaient vingt lieues de granit pour se procurer une eau plus limpide, l’achèvement de ce chemin en spirale n’avait dû être qu’un jeu d’enfant. Je mis deux heures à le descendre.

Une fois en bas, je passai le pont et me trouvai sur la rive droite du Huilcamayo, au milieu d’un rond-point. ou plutôt d’un espace en friche, bordé de chaumières quelque peu délabrées et dont les portes et les fenêtres étaient hermétiquement closes. Une solution de continuité, ménagée à dessein entre ces demeures, permettait au chemin de Yucay et de Huyallabamba de rejoindre celui d’Urubamba et facilitait le transit entre la ville et les villages. Deux écriteaux placés en face l’un de l’autre et indiquant, celui de droite, la via del sur, celui de gauche, la via del norte, ne laissaient aucun doute à cet égard.

Comme je m’étais arrêté pour saluer d’un dernier re-

  1. Erythrina pisonay.
  2. Vernonia serratuloides.