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varangue ou dans la case même, les idoles sont variées à l’infini : hommes, femmes, animaux naturels ou fantastiques (voy. p. 76), etc. Quelques-unes même consistent en un simple bâton fourchu à trois dents, orné de bandelettes et supportant un petit vase en terre du pays plein d’huile de palme ; en une défense d’hippopotame, une molaire d’éléphant, une corne de cabri…, etc. Tout objet peut devenir fétiche, si le prêtre y a, par ses paroles magiques, attaché quelque propriété surnaturelle. C’est même la branche la plus importante de leurs profits, car ils vendent fort cher aux nègres des amulettes ou grisgris enchantés. Ainsi tel petit scapulaire de cuir ouvragé et colorié, telle griffe de tigre fixée sur une section de défense d’éléphant formant bracelet, telle corne d’antilope, préservent de la mort par le fusil, par le sabre ou par le poison ; d’autres grisgris seront tout-puissants contre la morsure des serpents ; avec tels autres on pourra chasser sans crainte l’éléphant ou le tigre. Nous avons vu à Tafoo, dans la case des fétiches, un grand nombre d’ex-voto, fragments de jambes ou de bras, mains, pieds, etc., grossièrement sculptés en bois et suspendus au-dessus de la divinité à laquelle les fidèles font honneur de leur guérison.

Les mauvais Esprits ont des temples qui leur sont particulièrement consacrés, et dans lesquels il est interdit sous peine de mort de pénétrer. Les prêtres seuls les habitent, et y élèvent, dans la solitude, les adeptes qui devront les remplacer un jour. Quand des voyageurs de haut rang passent devant ces temples, généralement placés, comme celui de Cana par exemple, sur le bord des chemins les plus fréquentés, ou à la porte des villes, ils doivent mettre pied à terre, et on a vu plus haut ce qui se passe alors (p. 79). Le prêtre paraît sur le seuil du temple, et, pendant que son acolyte fait tinter une sorte de cloche, il marmotte les conjurations destinées préserver le voyageur de la maligne influence du dieu. Il n’est pas besoin d’ajouter qu’afin de rendre efficaces les prières des prêtres, le voyageur doit les payer d’un présent (en cauris ou en marchandises) qu’il dépose en dehors de l’enceinte.

Sans contredit, le fétiche le plus invoqué et le plus fréquemment représenté au Dahomey, est le même qui présidait aux cultes organiques de l’antiquité classique.

Les prêtres qui, comme on l’a vu, sont aussi les médecins, traitent les maladies plutôt au moyen d’exorcismes, de pratiques superstitieuses et sorcelleries, que de médicaments. Les seuls qu’ils emploient, sont des purgatifs drastiques tirés de diverses plantes des familles des euphorbiacées et des convolvulacées. Ils font aussi un usage très-fréquent des ventouses scarifiées, qu’ils appliquent au moyen d’une section de petite calebasse en forme de demi-sphère, percée d’un trou à son centre. Après l’avoir posée sur l’endroit choisi (c’est toujours une des jambes), ils aspirent l’air contenu dans la calebasse, par la petite ouverture qu’ils bouchent ensuite rapidement avec une boulette de cire.

Je ne voudrais pas fatiguer le lecteur de détails trop spéciaux. Qu’il me permette seulement de lui dire quelques mots d’une maladie à peu près inconnue en Europe, rare en Afrique, mais très-commune au contraire au Dahomey : je veux parler du filaire ou ver de Guinée. C’est un entozoaire (genre filaria des helminthes nématoïdes de d’Orbigny) qui se développe dans le tissu cellulaire intermusculaire ou sous-cutané. Un gonflement parfois considérable, la rougeur du membre (c’est principalement aux jambes qu’on le trouve), une vive démangeaison indiquent sa présence. Bientôt il se fait jour à travers la peau ulcérée et on peut l’apercevoir au fond de la plaie. Il faut alors le saisir, l’attirer doucement et le rouler autour d’un petit bâtonnet, jusqu’à ce que la résistance qu’on éprouve fasse craindre de le rompre. Si on parvient, en l’enroulant un peu ainsi chaque jour, à l’extraire en entier, le malade guérit ; si, au contraire, il se rompt, cet accident peut avoir des suites très-graves, parce que son corps (on n’a encore trouvé chez l’homme que des femelles) est rempli d’une multitude de jeunes filaires qui restent dans la plaie. Loin d’avoir détruit le germe de la maladie, on l’a au contraire ainsi considérablement multiplié, et l’inflammation produite par la présence de ces nombreux parasites peut être assez intense pour amener la mort. Les naturels pensent qu’ils avalent ce ver en buvant les eaux saumâtres qui le contiennent, mais la vérité est que ces animaux, qui foisonnent à l’état microscopique dans les eaux marécageuses, s’attachent aux jambes nues des nègres qui les traversent, pénètrent sous la peau, et s’y développent ensuite, pour causer les accidents dont je viens de parler.

Les prêtres ont encore la réputation de préparer des breuvages qui guérissent de la morsure des serpents les plus dangereux, des philtres, enfin des poisons d’une extrême subtilité.

Malgré les offres les plus séduisantes, et la promesse de riches cadeaux, je n’ai pu me procurer aucune de ces préparations. J’ai eu seulement en ma possession quelques flèches prétendues empoisonnées ; leur fer était enduit d’une substance verdâtre, comme un extrait de plantes fraîches. J’en fis l’essai sur un chat ; mais malgré d’assez nombreuses blessures et le soin que je prenais de laisser séjourner le fer dans la plaie, le pauvre animal au bout de deux jours ne présentait aucun symptôme d’intoxication : je lui rendis la liberté et il court encore. Aussi suis-je disposé à n’accorder qu’un crédit très-restreint sur ce point aux récits de certains voyageurs en Afrique.

Les Dahomyens ne célèbrent avec solennité aucun des événements marquants de la vie, qui, comme le mariage, la naissance des enfants ou l’inhumation des morts, sont chez les autres peuples des occasions de réjouissance ou de douleur. Le nègre, quand il veut se marier, achète sa future épouse à ses parents et se procure de cette façon autant de femmes qu’il en désire, ou qu’il en peut nourrir. Chez les grands, leur nombre est quelquefois considérable, et nous avons vu que le roi en avait plusieurs centaines.

Les Dahomyennes sont en général assez jolies, d’une taille médiocre ; elles seraient très-bien faites, si elles