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qui sépare le Liban de l’Anti-Liban, que ce paysage prend un caractère plus désolé encore ; tous les villages dont on trouve les restes ont péri de mort violente : pas un chemin n’est tracé ; pas une touffe d’herbe, à partir du mois d’avril, ne repose la vue. Les Bédouins dressent leurs tentes près des habitations qu’ils ont détruites ; autour de leurs vastes campements paissent des milliers de dromadaires. — J’ai trois fois parcouru ces plaines. À de certains endroits, les plus rapprochés de la montagne, j’ai souvent remarqué comme une trace de sentier ; de loin en loin sur le bord, on voyait de petites colonnes faites de cailloux superposés, ayant à peine deux mètres de haut. Plus loin, à une place où la terre semblait avoir été grattée, elles étaient disposées en cercle. J’ai toujours cru que c’était là les sépultures de cette race égyptienne ou bohémienne si connue du moyen âge, race qu’on retrouve dans toute sa pureté en Syrie, et qui, crainte et méprisée, ne trouvant nulle part d’asile pour ses morts, les confie à la solitude.

Homs, que nous atteignîmes après une grande journée de marche, l’ancienne Hémèse, est une ville triste, morne, bâtie de pierres jaunes et noires, ou de boue mêlée à de la paille hachée. C’est comme Hama, le rendez-vous des Curdes, des Bédouins, des Turcomans. Un vieux château bâti par les croisés la domine ; ses jardins, verts au milieu de la plaine, comme une oasis, s’étendent du côté de l’Oronte. Il nous fallut marcher deux jours encore, passer la nuit dans un petit village — El Okser — où nous faillîmes être assassinés par une quarantaine de nomades, avant d’atteindre la Beka et les premières ondulations du Liban. Nous voulions, après avoir quelque temps continué notre route au sud, le franchir, descendre aux cèdres sur l’autre versant, puis revenir une seconde fois dans la Beka, et la traverser dans toute sa largeur pour aller à Baalbeck.

Une noria sur l’Oronte. — Dessin de A. de Bar d’après une photographie de M. G. Hachette.

Un cheik de Métualis, habitant avec quelques bergers dans le fond d’un ravin, nous donna l’hospitalité, et alluma pour nous un grand feu, en incendiant deux cèdres. Ce côté du Liban est couvert d’arbres. Beaucoup ont été brûlés sur place par les Métualis. Les uns sont morts, les autres ont roulé dans les torrents avec d’énormes quartiers de roches ; partout on voit la trace des inondations, du tonnerre et des tempêtes ; la forêt, à demi détruite, semble une armée décimée par l’ennemi, et qui veut lutter jusqu’à la mort.

Parvenus enfin sur la dernière crête de la montagne, un panorama splendide s’étendit devant nous : à l’est, la Beka et l’Anti-Liban ; plus vers le nord, les plaines que nous avions parcourues, le désert qui leur fait suite ; à l’ouest, la côte, Djebel, Tripoli, Batrun, les mille vallées du Liban, les cèdres, la mer enfin, bleue, immense et noyée dans le ciel. Quant aux cèdres, c’est