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dont se forme le fleuve Blanc (que l’on a regardé de tout temps, et avec raison, comme la tête du Nil) ; quoiqu’ils n’aient pu même suivre sans interruption la large rivière où se déversent les eaux du Nyanza, et qui nous paraît, comme à Speke, ne pouvoir guère être autre chose que la rivière même de Gondokoro, c’est-à-dire le fleuve Blanc, ce que les deux explorateurs ont reconnu et constaté fixe invariablement le caractère et la limite (au moins du côté du sud) de la région où naît le fleuve d’Égypte. Nous voyons là, dans un espace de trois degrés au sud de l’équateur, une zone semée de grands lacs et dominée à droite et à gauche par des montagnes élevées, où se forment de nombreux courants dont le récipient principal est le Nyanza, lequel à son tour alimente un fleuve considérable qui sort du côté septentrional pour se porter directement au nord. Tout cet ensemble de circonstances physiques répond bien aux conditions de la naissance d’un grand fleuve, outre qu’elles sont en parfait accord, sauf le déplacement des latitudes, avec les informations locales que Ptolémée, dans la première moitié du deuxième siècle de notre ère, consigna dans son ouvrage géographique (voyez page 421). À ce point de vue, Speke a pu dire sans présomption, « la tête du Nil est découverte ; c’est une question réglée, » the Nile is settled ; et ses amis du Caire, dans l’exultation toute britannique que leur fait éprouver l’heureuse issue de cette difficile entreprise, ont pu s’écrier, en citant les vers métaphoriques que l’auteur de la Pharsale met dans la bouche du vainqueur de Pompée[1] : « C’est un grand sujet d’orgueil pour nous tous, officiers de l’armée de l’Inde, que deux d’entre nous aient vaincu Jules-César ! »

Speke et Grant ont d’ailleurs étudié avec soin les routes qu’ils ont suivies. Ils en ont dressé la carte, appuyée sur des déterminations de latitude et de longitude pour tous les points importants, ce qui n’est pas une mince acquisition dans l’état d’incertitude où nous sommes encore sur la longitude de Gondokoro, par exemple, et conséquemment sur le tracé tout entier et la direction précise du fleuve Blanc au-dessus de Khartoum. Les éléments de ces observations sont en ce moment entre les mains du directeur de l’observatoire de Greenwich, qui s’est chargé de les calculer. Il y a aussi une longue série d’observations physiques, qui nous fera parfaitement connaître la climatologie de cette région équatoriale, en même temps que des relèvements hypsométriques permettront d’en fixer le relief. Nous avons déjà vu ce que les deux voyageurs ont fait pour l’étude des peuples au milieu desquels ils ont vécu. Ce sont là sans doute d’assez grands services rendus à la géographie, même en dehors du tracé topographique des premiers courants dont s’alimente le Nyanza, et le nom de Speke a sa place marquée dès à présent à côté des plus illustres explorateurs du continent africain, à côté de Mungo Park, de Burckhardt et de Clapperton, de Barth et de Vogel, de Livingstone et de Burton. Enfin, un des grands côtés de l’expédition, le plus grand peut-être, c’est d’avoir brisé le charme qui depuis tant de siècles semblait défendre l’approche de ces régions centrales, c’est d’en avoir montré la route où maintenant vont se succéder les missionnaires de la science, impatients de compléter et d’étendre des découvertes si heureusement commencées. Déjà M. Baker a pris l’initiative. La reconnaissance que MM. Speke et Grant n’ont pu faire du Louta-Nzighi, ce lac du nord-ouest où se porte le fleuve du Nyanza par le grand détour que l’expédition dut perdre de vue, il veut l’entreprendre. L’intrépide pionnier est parti dans cette direction, déterminé à consacrer, s’il le faut, une année entière à cette excursion scientifique. D’autres l’imiteront sans aucun doute, ceux-ci par le nord, ceux-là par le sud ou par l’est, et peut-être au premier rang, parmi ces derniers, M. le baron de Decken, parti de Mombaz depuis longtemps déjà pour continuer son exploration des montagnes neigeuses, qu’il dut laisser inachevée il y a deux ans. Les contrées inconnues que Speke vient de traverser, et dont il va nous donner bientôt la relation complète, sont certainement destinées à devenir, dans un temps prochain, un des champs d’études les plus curieux et les plus féconds de l’Afrique.


VIII


Le glorieux achèvement de l’expédition des sources du Nil a fait pâlir les autres faits géographiques qu’aurait eus à enregistrer notre histoire du premier semestre de l’année actuelle. Il en est cependant plusieurs qui ne manquent ni d’intérêt ni d’importance. Les journaux d’Europe, échos de ceux de l’Australie, ont fait connaître, au mois de février, l’heureuse issue du voyage de Mac Douall Stuart, qui, pour la troisième fois, avec une indomptable persévérance, avait entrepris de couper d’une côte à l’autre, dans son plus grand diamètre du sud au nord, et en suivant le tracé même du méridien central, toute la largeur du continent australien. En 1860, Stuart avait dû s’arrêter par dix-huit degrés cinquante minutes environ de latitude australe, presque à égale distance, — entre trois cents et trois cent cinquante milles, — du golfe de Carpentarie d’un côté, et, de l’autre, de la vaste rade où la rivière Victoria débouche dans la mer de Timor. En 1861, dans son second voyage, l’intrépide bushman s’avança de cent vingt milles plus loin au nord, jusque sous le dix-septième parallèle, où d’impénétrables fourrés, et aussi le manque d’eau et l’épuisement de ses provisions, le contraignirent encore une fois de revenir sur ses pas. Enfin, en 1862, reprenant toujours la même ligne de route avec une obstination toute bretonne, il a tourné l’obstacle de 1861, et, continuant de pousser devant lui droit au nord, il est arrivé au golfe Van Diemen, en face de l’île Melville, c’est-à-dire à la partie de la côte

  1. Attribuant à César une pensée que venait de réaliser Néron, Lucain fait dire au vainqueur de Pharsale, assis au festin de Cléopatre :

    Sed cum tanta meo vivat sub pectore virtus,
    Tantus amor veri nihil est quod noscere malim
    Quam fiuvii caussas per secula tanta latentes
    Ignotumque caput : Spes est mihi certa videndi
    Niliacos fontes ; bellum civile relinquam.