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REVUE GÉOGRAPHIQUE,

1863
(PREMIER SEMESTRE)
PAR M. VIVIEN DE SAINT-MARTIN.
TEXTE INÉDIT.




I

Speke et Grant : Les sources du Nil. — Mac-Douall Stuart : L’Australie.

« Speke et Grant sont arrivés à Khartoum. » Ces sept mots, transmis d’Alexandrie et reçus à Londres le 30 avril par la voie télégraphique, sont devenus la grande nouvelle scientifique du jour. Cette annonce tout à fait inopinée a produit une joie aussi vive, une émotion aussi communicative et aussi générale que l’anxiété d’une longue attente avait été pénible. Depuis longtemps on osait à peine espérer un aussi heureux dénoûment pour l’aventureuse entreprise des deux voyageurs. La Société royale de géographie était précisément à la veille de sa grande réunion annuelle ; on peut bien penser que le succès glorieux des deux braves officiers en a fait les honneurs. Les journaux mêmes du capitaine Speke, qui avaient suivi de près la dépêche d’Alexandrie, ont permis au président de la Société, sir Roderick Murchison, de donner à sa communication un développement suffisant pour calmer la première curiosité. C’est à ce document que nous allons emprunter les faits suivants.

Nos lecteurs n’ont peut-être pas oublié les circonstances auxquelles l’entreprise se rattache, et qui en ont été le point de départ. Lorsque le capitaine Burton, en 1857, conçut la pensée d’une exploration intérieure de l’Afrique australe, il s’associa dans cette expédition dangereuse le capitaine (alors lieutenant) Speke, comme lui officier de l’armée de l’Inde, et qui déjà avait partagé sa fortune dans un premier voyage au pays des Somâl, sur les bords du golfe d’Aden. On sait quels furent les résultats de cette mémorable expédition de 1858[1], et combien elle a contribué à enrichir la carte d’Afrique. Elle restera le grand titre de gloire du capitaine Burton ; mais Speke, lui aussi, y eut une belle et large part. Les deux explorateurs avaient achevé, à onze cents milles de la côte orientale, la reconnaissance du grand lac central de Tanganika, lorsque, au retour, leur attention fut appelée, par les rapports des marchands arabes, sur un autre lac d’une non moins grande étendue qui se trouvait, leur disait-on, dans la direction du Nord. Burton, affaibli par la fièvre, était en ce moment hors d’état de prendre part à cette nouvelle excursion ; Speke tenta seul l’aventure. Elle fut couronnée d’un plein succès.

Ce second lac est celui que les indigènes appellent Nyanza, ce qui signifie grande eau[2]. Notre voyageur ne put ni le contourner ni en reconnaître toute l’étendue ; mais il en vit l’extrémité méridionale, qu’il fixa par une observation à deux degrés et demi au sud de l’équateur. Les habitants, d’un commun accord, lui assuraient qu’une grande rivière s’écoulait de l’extrémité opposée et se dirigeait vers le Nord ; en combinant les distances et les positions, Speke resta persuadé que cette rivière ne devait pas être différente du fleuve Blanc (que les expéditions parties de Khartoum ont remonté jusqu’à Gondokoro, à quatre degrés et demi au nord de l’équateur), et qu’il avait ainsi devant lui un des lacs signalés par d’antiques traditions comme donnant naissance au Nil. Ce fut avec un vif sentiment de regret qu’il lui fallut renoncer à pousser plus avant sa découverte, pour rejoindre son compagnon et regagner Zanzibar ; mais en s’éloignant du Nyanza, il était bien décidé à reprendre plus tard son entreprise interrompue, et à vérifier de ses propres yeux si la fortune l’avait en effet conduit à cette source depuis si longtemps cherchée du grand fleuve d’Égypte.


II


À peine de retour en Angleterre, il soumit ses idées et ses plans à la Société de géographie et au gouvernement ; l’un et l’autre les approuvèrent pleinement, et les moyens d’exécution lui furent largement fournis. L’Angleterre n’hésite ni ne marchande là où elle voit l’honneur de son nom intéressé même dans une entreprise scientifique. De regrettables questions d’amour-propre

  1. La relation de cette expédition, écrite par le capitaine Burton, a été traduite en français par Mme Loreau : Voyage aux grands lacs de l’Afrique orientale. Paris, 1862, un volume grand in-8, avec de nombreuses illustrations (chez Hachette).
  2. Speke, dans son loyalisme britannique, a donné au lac le nom de la reine Victoria. Le sentiment est honorable, mais le changement est pour le moins superflu. Victoria pourra devenir une appellation anglaise ; Nyanza restera le nom géographique.