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les magasins, détournèrent le commerce, et confièrent au temps le soin de disperser les habitants, laissés sans ressources. En peu d’années cette tâche fut complétement remplie, et la ville d’Halifax hérita des perspectives de succès qu’avait pu avoir un instant sa rivale.

Le port de cette capitale de la Nouvelle-Écosse est d’ailleurs plus beau, plus vaste, plus facile à défendre que celui de Louisbourg. On y pénètre par deux passes que forme une île de petite étendue par laquelle l’intérieur du bassin est caché. Une fois l’entrée franchie, il se présente une sorte de coupe oblongue qui pénètre profondément dans l’intérieur des terres ; la ville s’élève sur la rive gauche, en amphithéâtre. Puis au fond de la coupe s’ouvre un autre port qui pourrait aisément contenir une escadre, et qui va finir dans des bois marécageux.

Halifax présente un spectacle fort agréable. Les maisons sont nombreuses, grandes, à plusieurs étages, propres et d’un aspect riant et avenant. Plusieurs églises, dont quelques-unes sont en pierre, mêlent leurs tours et leurs clochers aux toits d’essences des habitations, et parmi ces saintes demeures, l’église catholique et les couvents, situés dans la haute ville, ne manquent ni de caractère ni d’une certaine majesté. Dans tous ces édifices religieux, le style employé est celui du quatorzième siècle, ainsi qu’il appartient au goût décidé de l’Angleterre pour l’architecture de cette époque.

Les rues principales courant toutes parallèlement au port, une ligne d’édifices semble baigner ses pieds dans l’eau. Ce sont pour la plupart des magasins appartenant à de grandes maisons de commerce, et entrecoupés de débarcadères ou wharfs puissamment assis sur des pilotis énormes. Devant ces plates-formes dont l’accès n’est pas autrement facile et commode pour les pieds qui ne sont pas marins, les bâtiments de toutes les formes viennent se presser, goëlettes, sloops, bricks, trois-mâts, etc. Les jours de fête, cette marine commerçante se pavoise de ses couleurs nationales et le vent agite sur les eaux de la baie le plus riche bariolage. France, Amérique, Espagne, Villes anséatiques, Prusse, y marient leurs pavillons aux couleurs blanche et bleue de la Nouvelle-Écosse, et ce concours d’insignes si divers témoigne honorablement de l’activité industrielle qui règne dans le pays.

En face de la ville, de l’autre côté du bassin, s’étendent de beaux villages qui forment comme une espèce de banlieue à la métropole de l’île ; tout le jour deux petits bâtiments à vapeur circulent d’une rive à l’autre, transportant voyageurs, marchandises, et voitures attelées. Enfin, au-dessus de ces villages, sur une éminence boisée et au milieu d’un parc anglais dessiné avec un soin et un bon goût particulier, s’élève un vaste édifice construit d’une façon si élégante, qu’on le prend d’abord pour la résidence de quelque puissant ou riche personnage. C’est une erreur capitale. La colonie a élevé là à grands frais un asile pour ses aliénés.

D’Halifax nous allâmes, en chemin de fer, à Truro Ce bourg se compose d’une série de jolies maisons de bois, la plupart à un étage, proprement peintes, d’un aspect assez gai, précédées d’un enclos de palissades soigneusement rabotées, blanches ou grises, bordant la grande route. Mais dans ces enclos il ne pousse pas grand-chose, et on y contemple avec plus d’espoir que de plaisir quelques maigres tiges d’acacias qui seront arbres un jour, pourvu que Dieu leur prête vie.

L’École normale, surmontée du pavillon de la colonie, se signalait au milieu des habitations par une construction particulièrement soignée et des développements beaucoup plus vastes.


VI

La baie Saint-Georges (Terre-Neuve). — Codroy et l’île Rouge. — Préparation de la morue. — Un établissement. — Les graves. — Le chauffaut. — Le cageot. — Salaison. — Le vigneaux.

Par une belle matinée, nous sortîmes de la passe d’Halifax, et reprîmes la haute mer, nous dirigeant vers la baie Saint-Georges, sur la côte occidentale de l’île de Terre-Neuve.

Pour entrer dans la baie Saint-Georges, on longe quelque temps une langue de sable qui s’avance parallèlement à la terre, on en double la pointe, et on pénètre dans un vaste bassin entouré de rives assez plates. À l’est, s’élèvent des maisonnettes de bois en grand nombre, et, devant toutes celles qui avoisinent la mer, une ligne de débarcadères chargés de tonneaux.

Nous descendîmes à terre pour faire connaissance avec la population presque tout irlandaise du village de Saint-Georges qui s’occupe uniquement de pêche. Au printemps, les harengs, poursuivis dans la haute mer par des poissons plus gros qu’eux, viennent se réfugier en masse dans la baie, et les habitants de Saint-Georges n’ont que la peine de les y prendre. Ils les préparent, les salent ; et c’est là leur fortune et leur seul moyen d’existence.

Il n’y a point d’agriculture, et il ne peut y en avoir. Le sable lutte avec les cailloux, les cailloux confinent à la tourbe. Beaucoup de sapins et des grandes herbes forment des taillis et des fourrés. Avec quelque peine, on réussit à obtenir des pommes de terre, mais en petite quantité. C’est le suprême effort de la puissance créatrice de ce sol.

Cependant les cabanes ont bon air ; elles sont remarquablement propres au dehors et au dedans, garnies de meubles d’une certaine élégance, fournies de bons poêles qui permettent de braver la rigueur des hivers interminables. Hommes, femmes et enfants sont vigoureux, bien portants, de bonne humeur, bien vêtus. Rien n’est plus singulier que de voir passer sur cette grève sauvage des dames et des jeunes demoiselles en chapeau, tenant, lorsque le temps veut bien le permettre, une ombrelle à la main. Cette élégance jure avec l’aspect de la contrée, et plus encore avec le genre de vie du beau sexe : car ces dames sont des néréides. Elles tirent les barques à terre, vont prendre le poisson dans la baie avec leurs pères et leurs maris, le salent et l’encaquent de leurs propres mains. Tout cela ne les empêche pas d’avoir une tenue fort convenable, d’être pour la plupart très-agréa-