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eu de nouvelles, on n’en aura jamais. Voilà ce que peut coûter un plat de poisson.

Mais voilà aussi pourquoi, dans toute la gent maritime, le pêcheur des Bancs est un homme tenu en si haute considération. De tous les marins, c’est celui qui a vu le plus souvent toutes les difficultés du métier, qui en a éprouvé les fatigues les plus rudes, qui a dû montrer, pour disputer sa vie à l’abîme, le plus de sang-froid et d’adresse, le plus de fermeté et d’esprit d’à-propos, qui sait le mieux ce que vaut un bout de corde et ce que promet le vent qui souffle. Enfin c’est, dans toute l’expression du mot, un marin, et peut-être doit-on lui faire un honneur plus difficilement mérité encore de nos jours ; c’est un homme.

Assurément, il existe aujourd’hui peu de créatures qui mènent une pareille existence. On peut donc se demander quels motifs si puissants portent de pareilles gens à l’accepter. Est-ce l’amour du gain ? Qu’on en juge.

Indigènes du Cap-Breton, ancienne tribu des Micmacs (voy. p. 416). — Dessin de H. Rousseau d’après une photographie.

Les pêcheurs sont engagés dans les ports de France pour le compte de certaines maisons qui, se livrant à ce genre de commerce, possèdent les navires. Elles donnent à chaque homme une solde, puis elles se chargent de lui vendre les vêtements, les vivres et tout ce dont il peut avoir besoin pendant la campagne. S’il est très économe et très-prévoyant, la moyenne de ce qu’il touche au retour ne dépasse guère huit cents francs. Mais pour peu qu’il ait du laisser-aller et de l’imagination, ce qui est le fait, en général, de tous les hommes aventureux et résolus, j’ose à peine dire à quel chiffre ce qu’il est en droit de réclamer se réduit. S’il le faut absolument, j’avouerai pourtant qu’il est tel de ces hommes qui ne reçoit pas plus de cinq à six francs au bout de six mois de navigation.

Ainsi, même dans les meilleures conditions possibles, comme métier, c’est un mauvais métier que d’être pêcheur des Bancs. Et cependant, ceux qui l’ont fait une fois y retournent presque toujours, et tant qu’ils ont des forces ils y reviennent, et leurs enfants y reviennent après eux, et des générations successives se dévouent à ces terribles épreuves.

La France a toujours été la nation qui a fourni, proportion gardée, le plus d’hommes à ce genre de navigation.

Les Anglais, qui rivalisent avec nous, et même, au point de vue du nombre, nous dépassent, ne sont nullement dans des conditions semblables[1]. Leurs navires des Bancs viennent de Terre-Neuve, qui est très-voisin, et y vont sans cesse porter leurs chargements. Ils n’ont, en réalité, à essuyer ni des dangers, ni des fatigues, ni des travaux pareils ; aussi eux-mêmes ne comparent-ils

  1. Les exportations anglaises, en produits de pêche, représentent une somme d’environ 135 749 livres sterling. Dans ce chiffre la morue seule entre pour 894 966 livres sterling.