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Un poste chinois des frontières.

J’emprunterai encore au journal de Mme Atkinson le récit d’une tentative que nous fîmes ensemble pour pénétrer dans une ville chinoise située sur la frontière, non loin de l’Ala-Kool, entre les monts Barlouks et Tarbagatais.

« … Le 9 août, nous arrivâmes à un piquet chinois situé à Choubachac, ou, suivant une autre orthographe, Chougachac. Notre interprète voulait nous empêcher d’y aller, parce qu’un Tatar lui avait dit que les Chinois nous feraient prisonniers. Je ris de sa couardise. Lorsqu’il vit que nous étions bien déterminés à tenter l’aventure, il prétexta une indisposition, prit la place de Columbus notre palefrenier près des chameaux, et, au lieu de les conduire, il disparut derrière eux dès que nous eûmes atteint le sol chinois. En approchant du piquet, nous pouvions apercevoir les clochers de la ville dans le lointain, et nous demandâmes aux officiers la permission d’y entrer. Il était environ midi lorsque nous arrivâmes, et pour la première fois seulement nous vîmes positivement des Chinois ; il n’y avait pas à se méprendre sur leur costume. Leurs chaussures étaient en satin noir, avec de hauts talons et d’épaisses semelles. Leurs habits me plaisaient singulièrement et étaient vraiment très-jolis ; ceux des serviteurs étaient en coton bleu, mais ceux des maîtres étaient en soie. Le vêtement de dessus s’appelle kaufa et ressemble assez à une pièce de calicot.

L’Alatau vu de la steppe (voy. p. 374). — D’après Atkinson.

« Alors commencèrent les cérémonies. Un domestique courut en avant pour annoncer notre arrivée, en faisant toutes sortes de gestes pour nous inviter à rester. Il revint bientôt et nous introduisit dans une basse-cour où l’officier supérieur jouait avec une oie ; néanmoins ce dernier abandonna cette occupation intéressante, et nous reçut très-poliment. Je fus tout ft fait étonnée de la hauteur de sa taille ; M. Atkinson paraissait petit à côté de lui. Il était droit et sec comme un jonc, avec un teint de cuir brûlé. Il nous fit entrer dans sa chambre, qui était dépourvue de meubles, et nous fit asseoir sur une plate forme élevée qui lui servait de lit. L’appartement fut bientôt rempli de personnes désireuses de savoir qui nous étions.

« L’officier voulut connaître le motif de notre arrivée en Chine. M. Atkinson dit qu’étant près de Chougachac, il désirait simplement présenter ses respects au gouverneur et visiter la ville. L’officier repartit que nous ferions bien de camper, qu’il enverrait une dépêche au gouverneur, et que la réponse arriverait le soir même.

« Quand nous fûmes installés dans notre yourte, notre hôte vint avec son interprète et son secrétaire, pour prendre le thé avec nous. Ils s’intéressaient à tout ce qu’ils voyaient, examinant minutieusement chaque chose, et disant que j’étais la plus extraordinaire de toutes. Ils nous racontèrent qu’ils étaient à ce piquet pour trois ans, et je crois qu’ils eurent encore une année à y rester avant de rejoindre leurs familles. Ils se plaignaient amèrement d’être séparés de leurs femmes.

« Le matin suivant, deux officiers et trois soldats vinrent à notre yourte, et les premiers descendirent de cheval. Comme ils n’avaient pas d’interprète, il nous fut difficile d’échanger un seul mot, mais on ne pouvait nier leur plaisir à voir des étrangers. Ils consentirent à prendre le thé ; mais, avant que je l’eusse versé, ils nous serrèrent cordialement la main, nous dirent encore un mot, sortirent de la tente et repartirent au grand galop. Il paraît qu’ils venaient d’un autre piquet pour s’éclairer sur notre compte. Ils étaient tous grands ; j’en conclus qu’ils avaient été choisis ainsi exprès pour voir de loin, sur la route, par-dessus les roseaux. Les soldats avaient des arcs et des flèches sur leur dos ; l’un d’eux portait une longue lance, et tous montaient bien à cheval, ayant, comme les Kirghis, des étriers assez courts.

« En sortant, nous découvrîmes la cause de ce départ précipité. Les soldats avaient aperçu des officiers supérieurs avec leur suite sur la route de Chougachac. Notre premier ami nous envoya dire qu’ils arrivaient.