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dont ils ne ménageaient ni l’ardeur ni les forces, à peine étaient-ils arrivés dans un aoul et avaient-ils fait connaître la triste nouvelle, que d’autres cavaliers partaient aussitôt de la même manière pour la transmettre plus loin. Elle se répandit ainsi en quelques heures, dans une contrée mesurant cent lieues de diamètre.

Les sultans, les chefs, les anciens des tribus montèrent alors immédiatement à cheval pour assister aux funérailles. Avant le soir, un grand nombre étaient déjà arrivés. Une lance, surmontée d’un drapeau noir, se dressait au-dessus de la porte du défunt, et lui-même, revêtu de son plus beau costume, reposait au-dessous. À sa tête était placé le siége d’apparat, emblème de sa dignité ; sa selle, les harnais de ses chevaux, ses armes, ses habits étaient empilés des deux côtés. Des rideaux en soie de Chine retombaient à grands plis du haut de la tente, et les épouses, les filles du trépassé, les femmes de la tribu, à genoux, la face tournée vers le cadavre, chantaient l’hymne des morts, en balançant le haut du corps d’avant en arrière et d’arrière en avant. C’était un spectacle solennel et pathétique. Les hommes, entrant par groupe, s’agenouillaient aussi et, se joignant au chœur funéraire, grossissaient la lugubre harmonie de toute la puissance de leur voix de basse. Point de cris, point de gémissements, point de cheveux arrachés, comme c’est l’habitude aux funérailles des peuples sauvages. C’est ce qu’on peut appeler ailleurs un service religieux en musique.

Un pasteur de peuples et de troupeaux. — Dessin de Sorieul d’après Atkinson.

En même temps, une autre partie du cérémonial requis se passait derrière la tente. Là, des hommes égorgeaient dix chevaux et cent moutons pour la fête des funérailles, et le feu était attisé sous les grands chaudrons de fer sur lesquels se penchaient les opérateurs nus jusqu’à la ceinture, armés de grandes cuillers de bois, les bras et les mains couverts de sang.

Partout où la flamme des foyers se projetait à travers l’aoul, elle mettait en saillie quelques détails saisissants, apprêts fantastiques d’art culinaire et de mort. À côté des formes noires de ceux qui remuaient le contenu des chaudrons on voyait les bouchers le bras levé, ou les chevaux se cabrer en hennissant de douleur et retomber frappés du couteau mortel ; par moments, tout redevenait obscur ; on n’était plus éclairé que d’une lueur sourde ; puis la fumée se dissipant au vent, les sacrificateurs apparaissaient de nouveau, semblables à des démons dans un rite infernal. Scène sauvage, dont l’horreur était encore accrue par les chants plaintifs qui sortaient de la demeure du sultan ! Puis vint le banquet ; mais comme il ne différait en rien que par le plus grand nombre des convives, de ceux que j’ai décrits plus haut, je ne m’y arrêterai pas.

La fête dura sept jours. À chaque instant arrivaient de nouveaux sultans et de nouveaux guerriers nomades. Je porte à deux mille le nombre total des assistants. Le huitième jour, on enterra Darma-Syrym. Le cadavre fut dépouillé de son habit de cérémonie funéraire, drapé dans un nouveau vêtement et placé sur un chameau qui le porta jusqu’à la tombe. Le siége ou trône de sultan le suivait sur un autre chameau ; ensuite venaient ses deux chevaux favoris, puis ses épouses, ses filles, les femmes de la tribu, chantant l’hymne funèbre qu’accompagnaient une foule de moullas et de guerriers, dont la voix mâle retentissait au loin dans la plaine !

Arrivé au sépulcre, le corps y fut descendu ; les moullas récitèrent leurs prières entrecoupées du récit des grandes actions du mort ; on immola ensuite les deux chevaux, qu’on enterra aux deux côtés du maître ; puis la terre recouvrit le tout, et le convoi retourna à l’aoul où se préparait un nouveau banquet funéraire. Cent chevaux et mille moutons furent encore égorgés en l’honneur du défunt.

À leur retour de l’enterrement, les femmes, entrant