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journée, il fut décidé qu’on accorderait quelque repos à nos chevaux, et que pendant ce temps-là on dînerait, afin de continuer ensuite notre voyage.

La vallée que je voulais remonter s’était rétrécie progressivement. Désirant jeter un coup d’œil sur le pays, je gravis une des hauteurs qui la resserraient, accompagné d’un Cosaque et de Tchuck-a-boi. De son sommet, la vue pouvait s’étendre sur une grande partie du désert de Sarkha, et je m’assurai qu’il n’existe pas de grand Altaï, mais seulement à sa place une chaîne de hauteurs courant, au sud, se perdre dans le désert de Gobi. Tout en examinant le pays, j’aperçus à l’est, à une grande distance, une colonne de fumée. Elle ne pouvait indiquer la présence des Kirghis, qui sont plus loin à l’ouest ; je me figurais difficilement qu’il pût exister des Kalkas dans cette direction ; mais comme on distinguait au moins deux ou trois feux, il fallait bien qu’il y eût là quelqu’un. Nous continuâmes de suivre la crête des collines pendant l’espace de plusieurs verstes, jetant de temps à autre un regard sur les colonnes de fumée. Nous finîmes par rencontrer un chemin battu, la route des caravanes qui traverse le désert de Gobi. Cela nous donna l’expication de la fumée : une caravane avait fait halte la nuit précédente en cet endroit. De notre position élevée, nous avions aussi en perspective l’Ilka-Aral-noor brillant sous les derniers rayons du soleil couchant. Un autre lac d’une étendue considérable apparaissait encore non loin des foyers de la caravane. Nous redescendîmes dans la vallée afin de rejoindre nos compagnons, dans l’intention de camper au premier endroit favorable. L’un des Cosaques, envoyé en éclaireur quelque temps auparavant, revint bientôt annoncer qu’il avait trouvé un campement convenable pour y passer la nuit.

Caverne sur la Tess (voy. p. 346). — D’après Atkinson.

Il devenait tout a fait nécessaire d’avoir l’œil au guet, car nous approchions des nomades ; or ceux de ce district sont assez mal famés. Cependant rien n’annonçait leur présence dans le voisinage ; mais les Cosaques et les Kalmoucks étaient d’avis qu’ils avaient pu apercevoir la fumée de nos feux. On envoya les chevaux paître jusqu’à la nuit, puis on les attacha près de nous, et deux sentinelles, qu’on devait relever toutes les deux heures, furent commises à leur garde. C’était une précaution très-importante, à laquelle chaque homme de notre petite troupe était profondément intéressé, car il était parfaitement sûr que si nous perdions nos chevaux, nos ennemis auraient bon marché de nous.

La nuit pourtant s’écoula tranquillement, et une brillaute matinée annonça une chaude journée.

Après avoir examiné ma carte, je me déterminai à marcher encore un jour ou deux dans la direction du sud, puis alors de prendre à l’ouest, afin de gagner la rivière Ourangour ; j’entrerais ainsi dans le désert de Gobi, au nord de la grande chaîne du « Thian-Chan » de nos cartes, un nom tout à fait inconnu des indigènes, qui nomment ces montagnes « Syan-Shan, » appellation que je prendrai la liberté de leur conserver. C’est la plus haute chaîne de l’Asie centrale, et sur son axe s’élève l’effrayante masse du « Bogda-Oola » et les cimes volcaniques du Pe-Shan et du Ho-Theou, trois buts de mon excursion dans ces lugubres contrées. J’avais mûrement pesé le danger avant de l’affronter, et j’avais pris ma détermination sans égard aux fatigues ni aux difficultés ; la peur des brigands ne m’aurait empêché à aucun prix d’esquisser ces sommités qu’aucun œil européen n’avait encore entrevues. Je voulais aussi obtenir des informations géographiques dont les voyageurs futurs reconnaîtront l’exactitude, j’en suis persuadé.

Pour extrait et traduction : F. de Lanoye.

(La suite à la prochaine livraison.)