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neau et son contenu droit sur le bord du précipice. Mais avant que je pusse calculer le danger, les sauvages animaux m’emportaient dans une direction opposée, entraînant mon léger véhicule deçà delà sur les aspérités du sol comme la queue d’un cerf-volant.

« Parmi les périls d’une autre nature semés sur les routes de la Sibérie, je signalerai les superstitions brutales des vieux paysans, premiers colons de ce pays. Dans une cabane où nous vînmes un soir demander l’hospitalité pour la nuit, deux voyageurs avaient été peu auparavant égorgés à coups de hache pendant leur sommeil par le propriétaire de cette demeure écartée, poussé irrésistiblement à ce crime par la simple vue d’un repas de viandes froides pris par ses hôtes dans la nuit du vendredi au samedi. Sa conscience n’avait pu tolérer un tel scandale sous son toit, et la mort seule des coupables lui avait paru capable de l’expier. »

Mais laissons les terres russes, où d’autres voyageurs nous ont déjà conduits, où d’autres nous ramèneront prochainement. c’est au sud des limites qui les séparent des possessions chinoises que nous devons suivre M. Atkinson.


I


Le pays des Kalkas. — Ancienne Mongolie.

Je venais de parcourir l’Altaï. La vallée du Bia, où s’étale l’Altin-Kool, — le lac d’Or, — m’avait offert des paysages qui ne cèdent en rien aux plus beaux des Alpes suisses et italiques. La vallée de la Katounia, non moins belle, m’avait conduit jusqu’au sommet du Biélouka. De ce point culminant du massif altaïque, je descendis vers le sud, résolu à aller chercher dans le Gobi des scènes qui n’avaient jamais été considérées par un œil européen et reproduites par un pinceau. Là, je savais que ma carabine serait nécessaire à autre chose qu’à conquérir mon dîner. Là le courage et le sang-froid du voyageur sont mis à l’épreuve par des gens inaccessibles à la crainte et à la fatigue. Il faut avoir la main ferme, l’œil prompt et l’habitude des armes, si l’on veut se garantir de tout acte de violence. Le pillage est le droit commun du désert, et, ce qui est pis, le voyageur qui succombe, s’il n’est pas mis à mort, est destiné à subir une captivité certaine.

Tour penchée de Neviansk (p. 338). — D’après Atkinson.

Mon escorte se composait de trois Cosaques, braves et honnêtes compagnons qui eussent affronté tous les dangers. Puissent-ils vivre longtemps et heureux sur le coin de terre qu’ils habitent au pied du Kourichoum ! Je leur adjoignis sept Kalmoucks, forts et robustes chasseurs, habitués à la pénible vie des montagnes. J’avais une provision suffisante de poudre et de plomb, ainsi qu’une collection de huit carabines. Mes Kalmoucks avaient les cheveux coupés ras à l’exception d’une touffe sur le sommet de la tête, réunie en une longue tresse qui leur pendait sur le dos et leur communiquait un extérieur tout à fait chinois. De fait, ils pouvaient être considérés comme des sujets chinois. Malheureusement pour eux, la Russie les contraint aussi à lui payer une taxe.

Le chef de ma petite troupe de Kalmoucks se nommait Tchuck-a-boï. C’était un fort et puissant individu, d’une belle et mâle contenance, au front massif et aux grands yeux noirs. Il était vêtu d’un manteau de peau de cheval serré autour de la taille à l’aide d’une large écharpe rouge. Quand le temps était chaud il ôtait ses bras des manches de son manteau qu’il attachait alors à la ceinture. Ce vêtement lui retombait autour du corps en plis magnifiques qui donnaient tout son relief à son port plein de fierté, à ses mouvements pittoresques, et imprimait un grand effet à sa figure herculéenne. Il était né pour être chef ; son excellente nature en faisait de plus un compagnon de route très-agréable. Il m’accompagna durant un grand nombre de mes jours de peine et de fatigue, supportant la faim et la soif sans laisser échapper un murmure.