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briques qui se dresse à plus de deux heures de la rive occidentale de l’Euphrate, et que la tradition locale désigne sous le nom de Birs-Nimroûd, représente le monument pyramidal si célèbre dès la haute antiquité sous le nom de Tour de Bélus, ou, comme il est désigné dans la Genèse, de Tour de Babel. Cette ruine vénérable n’est plus qu’un monticule de décombres que couronnent les restes encore très-élevés d’un mur en briques. Le tout, d’après une bonne mesure trigonométrique de M. Félix Jones, l’ingénieur anglais qui a relevé le plan des ruines assyriennes, domine la plaine d’une hauteur totale de cent cinquante-trois pieds six pouces anglais, environ quarante-sept mètres. M. Rawlinson y a trouvé en 1854, après le départ de la commission française, une inscription du roi Nabukhodonosor, constatant que ce prince (environ six cents ans avant notre ère) fit réédifier la tour et le temple ruinés par le temps. Le monument fut détruit par Xerxès, environ cent vingt ans après sa reconstruction. Il a été aussi constaté qu’une longue chaîne de tumulus se prolonge au nord de Birs-Nimroûd, et conséquemment que les vestiges de Babylone existent aussi à l’ouest du fleuve, ce qui avait été contesté. Aujourd’hui, comme au temps d’Hérodote, l’Euphrate sépare en deux parties l’emplacement de la ville. Ce qui paraît vrai, c’est qu’à part le temple de Bel et la citadelle de Sémiramis qui dominait la droite du fleuve, et dont il ne reste aucune trace, les monuments les plus nombreux, les plus riches, les plus considérables, se trouvaient sur la rive gauche, dans la partie orientale de la ville. Cette partie orientale était la ville neuve ; Nabukhodonosor l’avait presque entièrement rebâtie. La vieille ville, la ville de Nemrod, était celle de l’ouest.

Trois groupes principaux, ou plutôt trois massifs de ruines informes, se font remarquer dans ce qui fut la ville Neuve. Le plus septentrional est connu sous le nom arabe de Modjélibèh (qui signifie la Bouleversée) ; celui du milieu est appelé el-Kasr (le Château) ; le troisième, au sud du précédent, et à quarante minutes du Modjélibèh, doit à une petite mosquée son nom d’Amrân. Le palais de Nabukhodonosor devait occuper l’emplacement de Kasr ; toutes les briques qu’on en tire portent le nom de ce prince, le plus grand constructeur de l’antiquité babylonienne. M. Fresnel pensait qu’il faudrait ouvrir des tranchées d’une profondeur de quatre-vingts pieds au moins pour arriver au sol ancien de la ville.

M. Oppert, à qui la mort de M. Fresnel a laissé la tâche d’élaborer les matériaux de l’expédition, en publie en ce moment même les résultats. Au récit historique du voyage et des opérations poursuivies sur le site de Babylone, M. Oppert a joint l’exposé du déchiffrement des écritures cunéiformes, et la traduction des principaux monuments recueillis en Babylonie et à Ninive.


La découverte des inscriptions ninivites fait entrer l’étude des cunéiformes assyriens dans une nouvelle phase.

Jusqu’à l’époque de l’exploration de Khorsabad et des autres sites assyriens, l’étude de la troisième écriture des inscriptions trilingues était restée fort en arrière des deux autres. Les publications de M. Botta, et bientôt après celles de M. Layard, lui donnèrent un vigoureux élan. Des travaux importants furent publiés presque simultanément en France par M. de Saulcy, en Angleterre par le docteur Hincks, le colonel Rawlinson et M. Fox Talbot. L’Allemagne est représentée dans cette nouvelle étude par M. Oppert, qui y a pris aujourd’hui une des premières places. Hérissée de difficultés que les écritures de la première et de la seconde espèce ne présentent pas au même degré, elle hésite et varie encore sur plus d’un point ; néanmoins l’accord des savants, bien supérieur à leurs dissidences, montre qu’elle est déjà fixée sur tous les points essentiels. On ne peut plus mettre en doute que le fond de la langue, par ses formes aussi bien que par son vocabulaire, ne soit sémitique. D’un autre côté, non-seulement l’écriture est syllabique, comme l’écriture médique ou de la deuxième espèce, mais elle a de plus des particularités qui lui sont propres. Un grand nombre de signes purement idéographiques, sans prononciation connue, se mêlent aux signes phonétiques aussi bien dans les noms propres que dans l’expression des mots ordinaires de la langue ; ainsi, pour en donner un exemple, l’idée de Dieu est rendue par un rayonnement en forme d’étoile, l’idée de roi par une abeille, l’idée de terre par un espace fermé avec des traits horizontaux à l’intérieur qui figurent les sillons, et cela sans que les mots sémitiques qui signifient Dieu, terre ou roi, puissent s’appliquer aux groupes où ces signes se rencontrent. L’écriture a en outre un grand nombre de signes susceptibles de recevoir des sons ou des articulations différents, ce que l’on a désigné sous le nom de polyphonie. Il est aisé de concevoir ce que de pareilles bizarreries doivent jeter d’incertitude dans la lecture. Il faut ajouter, toutefois, que plusieurs de ces anomalies sont déjà ou maîtrisées ou très-circonscrites, et qu’au total, si l’on n’est pas arrivé encore au point d’appliquer et d’analyser un texte assyrien comme on le fait aujourd’hui d’un texte persépolitain, on est assez avancé non-seulement pour entendre parfaitement le sens général d’un texte assyrien quel qu’il soit, mais aussi pour en traduire la plus grande partie d’une manière tout à fait sûre.

Sans prétendre entrer en aucune façon dans le domaine spéciale de la philologie, nous avons dû insister sur ce fait. On comprend que pour apprécier le degré de confiance que l’on peut accorder aux données historiques qui se firent des monuments, il convient d’être fixé sur le degré de certitude où est arrivée l’interprétation des textes.


Quels résultats positifs sont sortis jusqu’à présent de l’étude des monuments et du déchiffrement des inscriptions assyriennes.

Nous avons exposé l’historique des découvertes et des fouilles de la Perse, de l’Assyrie et de la Babylonie ; nous avons suivi, autant que le permettait notre cadre, le progrès des études archéologiques et du déchiffrement des écritures cunéiformes, depuis Grotefend qui a ouvert la voie, jusqu’au moment actuel ; il nous reste à