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officiels, le peuple ne lui en connaissait pas d’autre. Nous demandions quelque part des poules : « Il n’y en a plus, monsieur, Azkanîte a passé par ici avant-hier avec ses gens, et a pris toute la volaille disponible. — Peut-on trouver des chameaux ? — Oui, sauf du côté du Grenniè, Azkanîte a requis ceux-là pour aller dans le sud. »

Conçoit-on en France, par exemple, un arrondissement dont le sous-préfet ne serait connu de ses administrés que sous le nom de M. Porc-Épic ?

Au bout du steppe, nous descendîmes dans un khor desséché, qui semblait venir d’assez loin dans le sud, et qui se terminait dans un bassin triangulaire à fond de sable, également desséché, dominé par un petit groupe isolé de montagnes et un assez grand village, où nous passâmes la nuit. C’est ce que les cartes figurent par un petit lac et un village noté « Ketschmar, eau saumâtre. » Le lieu s’appelle en réalité Kaimar, et l’eau n’est pas plus saumâtre que celle de la Seine ; il est vrai qu’au Soudan j’ai bu tant d’eau couleur d’absinthe ou d’encre, que j’ai pris l’habitude de trouver excellente une eau qui n’est pas pire, par exemple, que celle qu’on peut boire entre les pavés des rues de Paris après une averse abondante.

Forêt vierge du Kordofan. ─ Ruisseau d’Abderbe. ─ Dessin de Karl Girardet d’après M. G. Lejean.

C’est ainsi que tous les voyageurs, sauf M. Ch. Didier, appellent saumâtre l’eau du Bir-Mourad, au milieu du désert de Korosko. Je conviens qu’elle a, étant fraîche, la couleur qu’on obtiendrait en versant une cuillerée de macadam liquide dans une tasse de café noir ; mais à part cela, quiconque boit de cette excellente eau après quarante-cinq lieues de désert aride, éprouve une jouissance que je défie mes lecteurs de goûter en face d’une glace savourée en plein juillet devant le café des Variétés.

À Kaimar, je sortis de l’oasis du Kordofan pour entrer dans le désert. Je me rendis de là à Kharthoum en suivant une route brisée comme un N posé horizontalement, et passant par les monts Zer’aoua, Haraza, l’oasis d’Abou-Gonatir, le mont Lao-Lao et le bras d’Echegoub, latéral au Nil blanc. Sur cette route, je fis quelques découvertes : je faillis mourir, et je fus victime du ragle, cette maladie bizarre qui n’est que trop réelle et que je me garderai bien de souhaiter à ceux qui en contestent l’existence.

G. Lejean.