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dique pour la seconde espèce, et le nom d’écriture babylonienne ou assyrienne pour la troisième.

La suite des études a confirmé la légitimité de ces qualifications.

C’est à l’écriture persépolitaine, qui se compose des signes les plus simples, que s’était attaqué Grotefend ; c’est sur elle aussi que se concentrèrent les efforts des premiers savants qui, après Grotefend, s’appliquèrent au déchiffrement des inscriptions cunéiformes, notre illustre Eugène Burnouf en France, M. Lassen en Allemagne, et en Perse même, le colonel Rawlinson, résident britannique à Bagdad.

Comme on sait, non-seulement par les indications des écrivains classiques, mais aussi par les notions ethnologiques de la science moderne, que les Perses appartiennent à la grande famille de peuples indo-européens dont les idiomes convergent vers la langue antique de la Bactriane et celle des brâhmanes, c’est-à-dire vers le zend et le sanscrit, on pensa que la langue persépolitaine devait tenir aussi à la même souche par une connexion plus ou moins étroite. Cette hypothèse tout à fait rationnelle, déjà signalée par Rask, le grand philologue danois, fut le point de départ commun d’Eugène Burnouf, de Lassen et de Rawlinson, qui, dans le même temps (de 1834 à 1836), et sans concert préalable, avaient abordé la même étude. Le résultat fut tel qu’on l’avait prévu. Le zend et le sanscrit, appliqués aux inscriptions persépolitaines dont on avait reconstruit l’alphabet, en donnèrent la complète intelligence, en même temps qu’on pouvait reconnaître dans le texte des inscriptions des formes et des inflexions grammaticales particulières. La langue des anciens Perses et des princes akhéménides était retrouvée.


On aborde le déchiffrement des écritures de la deuxième et de la troisième espèce. — La grande inscription trilingue de Bisoutoun.

Par la concordance des noms propres que renferment les inscriptions persépolitaines on avait pu reconstituer, au moins en partie, l’alphabet de la deuxième espèce, et déterminer quelques éléments de la troisième ; et ce qu’on put dès lors entrevoir, sous la lecture bien douteuse encore et bien imparfaite de ces deux écritures, c’est qu’on se trouvait, comme on l’avait supposé dès l’abord, en présence de deux langues absolument différentes du persépolitain. Mais on sentit bien vite que pour aller plus loin il fallait de plus amples moyens de comparaison, c’est-à-dire de nouveaux textes.

Ces nouveaux textes, le colonel Rawlinson allait les fournir, en livrant à la science l’inscription trilingue de Bisoutoun.

Le monument de Bisoutoun, devenu si célèbre et qui occupe une place si considérable dans l’histoire des déchiffrements cunéiformes, appartient au règne de Darius Hystaspès, qui arriva au trône en l’année 521 avant l’ère chrétienne, huit ans après la mort de Cyrus. Bisoutoun est à une journée à l’orient de Kermanchâh, vers la limite occidentale de l’ancienne Médie, sur la route qui de l’Assyrie et de la Babylonie conduisait à Ecbatane. C’est une chétive bourgade, près de laquelle s’élèvent les rochers qui portent l’inscription et les bas-reliefs. Il était impossible de choisir un emplacement qui par son aspect fût plus propre à frapper l’imagination. Une énorme muraille de rochers se dresse à la hauteur de plus de quinze cents pieds, dominant la route qui longe au nord les bords d’un torrent. La face verticale du rocher avait été nivelée et polie, et sur cette tablette naturelle, à la hauteur de trois cents pieds au-dessus de la plaine, Darius avait fait graver l’inscription commémorative des événements qui remplirent les premières années de son règne. De nombreux prétendants à la couronne s’étaient produits à la mort de Cambyse, successeur de Cyrus, et avaient soulevé diverses provinces de l’empire ; Darius marcha contre eux, il les réduisit successivement, s’empara de leurs personnes et les mit à mort. Ces victoires forment le sujet du bas-relief qui accompagne l’inscription. Neuf princes captifs y sont représentés en une longue ligne, les mains liées, le cou enserré d’une corde qui va de l’un à l’autre jusqu’au dernier. Darius est devant eux, le front ceint d’un diadème, la main levée en signe d’autorité, le pied posé sur un dixième captif étendu à terre ; au-dessus de toute la scène, plane le dieu Ormazd, le protecteur du roi et de l’empire. Au-dessous de la figure prosternée que le roi foule du pied, on lit dans une tablette cette légende en sept lignes : « Ce Gomâta, le Mage, a proféré un mensonge lorsqu’il a dit : Je suis Bordiya, fils de Kourousch (Cyrus) ; je suis le roi. » Hérodote a connu ce Mage usurpateur, qu’il nomme Smerdis. Au-dessus de chacun des neuf captifs enchaînés, une courte inscription indique de même le nom du personnage et la province qu’il avait soulevée. L’inscription principale, qui surmonte la figure de Darius, est ainsi conçue :

« Je suis Darius, le Grand Roi, le Roi des Rois, roi de la Perse, roi des provinces, fils de Vichtâspa, petit-fils d’Arschâma, de la race d’Hakhâmanich. Le roi Darius dit : Mon père était Vichtâspa, le père de Vichtâspa était Arschâma, le père d’Arschâma était Aryaramna, le père d’Aryaramna était Tchichpich, le père de Tchichpich était Hakhâmanich. Le roi Darius dit : C’est pour cela que nous avons été appelés Hakbâmanichiyâ (Akhéménides). De toute antiquité nous avons été puissants ; de toute antiquité notre race a été une race royale. Le roi Darius dit : Huit de ma race ont été rois avant moi ; je