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lui sont nécessaires et pose sa casserole sur des charbons ardents. Quand la chaleur du feu a suffisamment amolli le verre, l’opérateur, armé d’un poinçon arrondi par le bout, appuie légèrement sur chaque fragment qui, passant par le trou, prend aussitôt une forme convexe. Cette chose, dans la partie concave de laquelle l’artiste figure ensuite, à l’aide de couleurs, la pupille et le globe de l’œil, est enchâssée par lui dans le masque de ses icones et donne à leurs regards cet éclat radieux dont s’émerveille l’étranger.

Les ébauchoirs, grattoirs, polissoirs et autres engins artistiques dont se servent ces statuaires indigènes, sont des os de mouton ou de volaille, d’humbles lames de canifs ou de couteaux aux trois quarts usés, de vieux clous, de vieux pinceaux et de vieux gants. Leur misère ingénieuse fait flèche de tout bois. Tout ce que dans nos cités d’Europe on jette dédaigneusement est recueilli par ces artistes avec le plus grand soin, lavé, fourbi, frotté, et leur sert pendant de longues années à confectionner ces images glorieuses qu’aux jours fériés on couvre d’habits somptueux et de pierreries pour les promener dans les rues.

Scène de carnaval. — La Fièvre tierce (voy. p. 292).

La plus renommée des processions annuelles de Cuzco est celle du Señor de los temblores, ou Christ des tremblements de terre, qui a lieu dans l’après-midi du lundi de Pâques. Deux jours à l’avance, des enfants sont allés dépouiller de leurs fleurs les buissons de ñuccho (salvia splendens) et en ont empli des corbeilles. Les reposoirs à dresser sur la place de la cathédrale ont mis en émoi la corporation des fruitières que ce soin concerne exclusivement. Les maisons devant lesquelles doit passer la procession ont retiré de leur garde-meuble les tentures de velours à crépines d’or, les riches étoffes et les tapis brillants qui y sont restés enfouis pendant toute l’année. Le jour solennel luit enfin. Dès le matin les camaretos, petits obusiers, ébranlent de leurs détonations les échos de la ville ; des pétards, des lances à feu, des fusées sifflent de toutes parts et décrivent leurs trajectoires dont le sillon lumineux se perd dans la lumière du soleil. La population endimanchée se répand dans les rues ou prend place aux balcons. Des flots de chicha, de vin et d’eau-de-vie ont coulé depuis l’avant-veille pour célébrer la fin de la semaine sainte et le grand jour de la résurrection ; puis, comme il n’est pas de bonne fête sans lendemain, on a continué de boire à l’occasion du lundi de Pâques et de la procession qui doit le terminer.

À quatre heures précises une triple salve de camaretos ébranle la place ; églises et couvents font entendre aussitôt un carillon joyeux, toutes les cloches de la cathédrale, depuis le bourdon appelé la madre abadesa (la mère abbesse), jusqu’à l’esguillon d’argent de la chapelle du Triomphe, s’agitent à toute volée. Dix mille Indiens, hurlant et débraillés, sont groupés dans la place, et les fenêtres regorgent de curieux des deux sexes agitant leurs