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natures sans artifice, à qui répugne l’emploi de la céruse et du vermillon, et qui, trouvant bien fait ce que Dieu fit, se contentent de vernir leur visage avec du blanc d’œuf auquel elles ajoutent quelques gouttes d’eau de Jean-Marie Farina. Cet innocent glacis, pareil à certaines recettes prônées par certains prospectus, éclaircit le teint, suavise la peau, prévient les rides à naître, efface ou dissimule les anciennes rides, et donne au visage de la personne sur lequel il est appliqué, l’aspect d’une glace fraîchement étamée.

Comme les lecteurs et surtout les lectrices pourraient s’étonner de nous voir si bien au courant de tous ces petits secrets de toilette qu’on s’avoue à peine à soi-même et sur lesquels on tire d’habitude un épais et triple rideau, nous avouerons que, sans être parfumeur ni même fabricant d’huile de Macassar et de pâte d’amandes, il nous est arrivé quelquefois, par une douce commisération pour les faiblesses du beau sexe, d’interrompre un moment de graves études pour lui préparer de nos propres mains, à l’aide de blanc d’argent, d’ocre, de carmin et l’addition d’une essence quelconque, une pommade dont le frais coloris pouvait rivaliser avec celui des nymphes de Rubens. Que de bouquets de fleurs, que de douces paroles et que de doux sourires, sans compter les boîtes de confitures, nous ont valu ces envois de pommade couleur de chair ? En revanche, quelles inimitiés terribles et quels coups de langue envenimés ne nous sommes-nous pas attirés de la part de la femme à qui nous refusions par ordre une de nos tablettes, afin qu’elle ne pût lutter contre une rivale et courir la chance de l’emporter sur elle ! Doux souvenirs, sylphes ailés qui voltigez en ce moment sur cette page blanche, poussant notre plume du coude et la faisant cracher, malgré la dureté de son bec métallique, éloignez-vous, disparaissez pour ne plus revenir. Des soins plus graves nous réclament ; après le doux tribut d’hommages payé au sexe faible, nous avons à parler des pères et des époux, des frères et des cousins, qui constituent le sexe fort.

Fête de Sacsahuaman, à Cuzco.

Nous ne saurions dire que les Cusquenos sont gracieux et timides comme leurs femmes, mais nous pouvons assurer qu’ils sont susceptibles et défiants. Autant les premières, une fois la glace rompue, se montrent sympathiques à l’étranger, autant les seconds manifestent de répugnance à entretenir avec lui des relations suivies. Cette répugnance tient chez eux à un peu de sauvagerie et à beaucoup de confiance dans leurs lumières. La supériorité physique et morale de l’Européen froisse leur vanité, et quand il leur arrive d’être forcés de la reconnaître en public, c’est avec une réserve telle, qu’on comprend sur-le-champ ce qu’un pareil aveu leur coûte à formuler.